Chapitre III. L’époque Dynastique Archaïque ou présargonique

 

(2900-2340 env.)

Avec l’époque appelée Dynastique Archaïque ou présargonique1 nous entrons dans l’histoire et le demi-millénaire qu’elle représente est abondamment documenté par les fouilles, surtout en Mésopotamie. Les villes sumériennes s’organisent autour des temples, foyers religieux et administratifs qui témoignent d’une prospérité de plus en plus grande qui va leur donner le désir d’hégémonie les unes par rapport aux autres. Les ateliers de sculpture vont être les grands bénéficiaires de cette prospérité qui permettra, entre autres, l’importation de pierres et de métaux. Les artisans y gagneront de nouvelles possibilités d’exercer leur habileté et ces siècles sont certainement décisifs pour la formation d’une profession qui jusque-là ne devait être exercée que de façon isolée. C’est ainsi que l’on va pouvoir suivre et déterminer une évolution qui a été mise en lumière par les découvertes de la vallée de la Diyala. Nous conservons la division en trois sous-périodes, proposée par Henri Frankfort d’après la stratigraphie architecturale, tout en reconnaissant avec lui2 que les changements de la sculpture ne coïncident pas forcément avec cette subdivision, mais afin de ne pas ajouter à la complexité de la classification en adoptant une nouvelle terminologie.

Personnages

Mésopotamie

Dynastique Archaïque I (2900-2750 env.)

Force est en tout cas de constater que le Dynastique Archaïque (= D.A.) I, correspondant à une réalité de plusieurs phases architecturales dans les sites de la Diyala et à Nippur3, est très peu représenté en ronde bosse4 alors qu’il s’étend sur 150 à 200 ans5 entre l’époque de Jemdet Nasr et le D.A. II6.

Le seul exemple bien daté stratigraphiquement est une statuette de portefaix accroupi, trouvée dans le temple VII de Sin à Khafadje7. L’homme, nu, est assis, genoux relevés ; il porte sur son dos un fardeau maintenu par une large sangle qui passe sur son front et qu’il maintient des deux mains sur les tempes, dans une attitude très bien illustrée sur la face du banquet de l’« Etendard » en mosaïque d’Ur8, postérieur de plusieurs siècles (D.A. III), et que l’on voit encore actuellement au Proche-Orient.

Un autre témoin possible du D.A. I est une tête d’homme en terre cuite peinte, provenant de Kish9 (Fig. 17), qui devait s’insérer dans un corps de statue. Le visage était peint en ocre-jaune avec rehauts de peinture noire pour la barbe, les sourcils qui se rejoignent à la racine du nez, les pupilles et des mèches au sommet de la tête. L’état de conservation n’est toutefois pas suffisant pour tirer des conclusions sur la facture, mais cette tête ne semble guère différente d’exemplaires des phases II et III.

17. Kish. Tête masculine. Terre cuite peinte.

18. Ur. Tête masculine. Argile crue.

Plus étrange est une tête masculine en argile non cuite, trouvée à Ur dans les décombres où avaient été creusées les tombes royales10 (Fig. 18). De la peinture initiale, il ne restait que des traces de noir autour des yeux. Ici, comme dans un crâne rasé en pierre trouvé à proximité11, un trou de mortaise indique qu’elle était raccordée à un corps disparu. Son style très particulier vient des arcades sourcilières peu arquées s’arrêtant de part et d’autre du nez, au lieu de se rejoindre comme au D.A. II et III. Les orbites sont creuses, le nez court et la bouche n’est pas indiquée. Le crâne est rasé. Des références de comparaison manquent pour assurer la date de ce document. Deux statuettes en cuivre pur, acquises à Bagdad en 195312, sont particulièrement intéressantes13 ; conservées au Musée de Brooklyn et au Musée de Buffalo, elles sont très semblables, sans cependant provenir du même moule. Elles représentent un homme nu à la musculature puissante, mais de taille élancée, en marche, chaussé de sabots se terminant en une corne recourbée (Pl. 36). Sur la tête, un couvre-chef bordé par un bourrelet, est orné des oreilles et de deux grandes cornes recourbées de bélier14. Outre une grosse ceinture qui souligne la taille fine, il porte une collerette arrondie devant sur les pectoraux massifs, et gonflée sur les omoplates comme un sac, sous lequel dépasse un appendice en forme de queue d’oiseau. Les épaules sont larges, les biceps bien marqués, les avant-bras projetés en avant avec de grandes mains repliées sur des objets aujourd’hui disparus15. Le corps est légèrement penché en avant et l’attitude pourrait convenir à un conducteur de char. Le visage bien modelé est encadré par une barbe ovale, détachée de la poitrine, qui laisse dégagée la bouche et une partie du menton. Les lèvres sont charnues, le nez droit dans le prolongement du front. Les orbites sont profondément creusées et incrustées d’os percé d’un trou pour la pupille. Ces curieux personnages, rapprochés des « hommes-ibex » figurant sur les cachets iraniens avec leurs bottes à bout recourbé dites « à la poulaine », ont été datés par Richard Barnett de la fin du IVe millénaire16 pour leur ressemblance avec le buste de Warka (ci-dessus, p. 29). Certes la barbe et les yeux incrustés présentent des analogies, mais l’attitude des pieds décalés, la composition du métal, indiquent une date plus tardive. D’autre part, nous n’avons pas à faire à un homme à tête de mouflon, mais à un humain coiffé et botté de cornes. H. Frankfort a signalé que les chaussures à bout recourbé sont encore caractéristiques des montagnards de l’est et du nord de la Mésopotamie17. Si elles apparaissent sur les premiers sceaux iraniens18 et aux pieds d’un héros nu barbu sur un vase de Tell Agrab de la fin de Jemdet Nasr19, P. Amiet a rappelé opportunément que certains héros en sont chaussés à l’époque d’Akkad20, ce qui leur dénie un critère chronologique. Le personnage représenté est-il un dieu, un héros mythique ou un souverain ? Le fait qu’il existe par paire milite plutôt en faveur de la deuxième hypothèse, mais l’on ne saurait aller plus loin dans l’identification. Ils sont manifestement l’œuvre d’un excellent artiste, tant par le don d’observation de la nature et du mouvement que par la qualité de la fonte. La provenance de Tello, indiquée par le vendeur, nous semble hors de question quant à leur origine première, car le port des chaussures est caractéristique des montagnards, aussi la Mésopotamie du Nord ou l’Iran sont plus probables.

Avec le Dynastique Archaïque II, la Mésopotamie connaît un essor extraordinaire dans le domaine de la sculpture, qui ne fera que croître au Dynastique Archaïque III. C’est certainement l’ère la plus féconde pour la ronde-bosse, durant quatre siècles environ, entre 2750 et 2350. Ce développement correspond à celui de la vie religieuse et cultuelle puisque les nombreuses statues et statuettes en pierre et en métal proviennent toutes des temples où les fidèles les déposaient après les avoir vouées aux divinités. Chaque sanctuaire des cités recevait ainsi de génération en génération des hommes et des femmes figés dans leur prière sur des banquettes de briques qui couraient le long des murs de la cella. Lorsque la place manquait, un certain nombre d’entre elles étaient réunies et enfouies dans une cachette dans les murs ou dans l’autel, ce qui a valu de belles découvertes aux fouilleurs de notre XXe siècle, à moins que la guerre menée par une ville rivale n’ait livré à la destruction et au pillage tout le mobilier d’un temple21.

La taille moyenne des personnages varie entre 10 et 30 cm, mais il y en a de plus petites et de plus grandes. Outre les plus grandes représentations de la cachette de Tell Asmar, des éléments épars attestent une grande statuaire, parfois même plus grande que nature22. Henri Frankfort, le premier, a distingué deux styles dans la ronde bosse de la Diyala : un style abstrait, géométrique, précédant un style réaliste23, mais il s’est étonné que des œuvres excellentes côtoient les plus mauvaises24, ce qui ne facilite pas l’étude stylistique. Il ne faut pas perdre de vue que le matériel dont nous disposons s’étend sur quelque 400 ans — songeons un instant à l’art de notre civilisation occidentale entre le XVe et le XIXe siècles par exemple ! — pour lesquels nous avons bien peu de données. Il existe aussi probablement des décalages suivant les régions, car le développement n’est pas le même partout25, mais il n’y a pas d’inconvénient à admettre que les deux styles correspondent respectivement au Dynastique Archaïque II et III. Nous faisons cependant volontiers nôtre l’opinion de Sir Max Mallowan, à propos des temples de Sin à Khafadje, suivant laquelle la production du D.A. II et du D.A. III est souvent tellement semblable qu’elle en est identique26. Avec grande minutie, Mme Eva Strommenger27 a mis en parallèle les caractéristiques des deux styles et même ainsi les distinctions n’apparaissent pas toujours clairement. D’autre part, malgré la technique de fouilles éprouvée pratiquée depuis un demi-siècle, les renseignements stratigraphiques n’ont pas réussi à éliminer les problèmes chronologiques, d’autant plus que les objets précieux étaient conservés longtemps et que leur niveau de découverte ne peut constituer qu’un terminus ad quem. Des exemples indiquent qu’il faut se montrer circonspect dans la datation autant que dans les critères stylistiques. Ainsi une statuette en albâtre d’orant debout a été trouvée en deux fragments dans des niveaux superposés du temple d’Abu à Tell Asmar : le tronc et la tête (As. 33 : 75) dans le « temple unique » du D.A. III, les pieds (As. 33 : 281) dans le « temple carré » du D.A. II28, ce qui indique un respect des nouvelles générations pour celles qui les avaient précédées, même si le style de la production avait alors changé. Nous proposons de qualifier le style du D.A. II d’« austère » par opposition à celui du D.A. III qui est « souriant ».

Dynastique Archaïque II (2750-2600 env.)

C’est grâce à la découverte d’une cachette de statues dans le niveau I du « temple carré » d’Abu à Tell Asmar (Eshnunna) que nous avons un ensemble bien daté du premier style29 auquel est venu s’ajouter une cachette de neuf statuettes enfouies à Khafadje dans un puits creusé dans le temple V de Nintu30.

La cachette de Tell Asmar contenait onze personnages debout — neuf hommes et deux femmes — et un homme agenouillé (Pl. 37). La plus grande statue (72 cm)31, que H. Frankfort considérait comme celle d’un dieu en raison de sa taille et de l’immensité de ses yeux incrustés32, avait les cheveux répandus sur les épaules en vagues horizontales partagées par une raie au milieu sur l’occiput33. Les cheveux sont noircis au bitume comme la barbe qui couvre largement les joues et la lèvre supérieure. Les yeux sont incrustés d’une sclérotique de coquille fixée par du bitume, dans laquelle est enchâssée une pastille de pierre noire démesurée que l’on retrouve également dans les yeux de la statue féminine qui se rapproche le plus par la taille. Les épaules sont larges et rondes, les bras au coude pointu sont détachés du corps et les mains se rejoignent autour d’un gobelet. Le buste nu est taillé suivant quatre plans verticaux dont les deux latéraux sont arrondis aux aisselles. Le milieu du dos est traversé verticalement par une rainure représentant l’épine dorsale, procédé que l’on retrouve fréquemment dans cette statuaire. Il faut noter le traitement plat et anguleux du dos qui contraste avec le bas du corps en tronc de cône formé par la jupe serrée à la taille par un double bourrelet dont l’extrémité unique retombe par-derrière. Le vêtement est uni, mais il se termine par une haute frange de mèches laineuses dont les rangées superposées donneront le vêtement de kaunakès au D.A. III (ci-dessous, p. 75). Les jambes écartées et les pieds nus sont massifs, fermement campés sur le socle rond et dans le même alignement. Ce socle a la particularité d’être sculpté sur le devant d’un aigle aux ailes éployées entre deux capridés au milieu de branches feuillues, motif symbolisant un dieu de fertilité, que l’on retrouve quelques siècles plus tard à Tello sur le vase d’argent d’Entemena34 ou sur le linteau de cuivre de Tell el Obeid35, mais avec la différence que l’aigle agrippera alors les bêtes à cornes.

La plus grande statue féminine36 a les mêmes yeux à la pupille démesurée, une petite bouche aux lèvres en relief comme l’homme, des cheveux en bandeaux plats sur les tempes, les joues et la nuque. Ils sont fermement maintenus par une longue mèche qui, tournant à droite sur la nuque, s’enroule tout autour de la tête et rentre sous son départ, en une coiffure qui connaîtra bien des variantes, mais qui est traitée ici de la façon la plus sobre, toute unie, comme le vêtement qui découvre l’épaule et le sein droits et retombe, sans ceinture, en un long pan sur l’épaule et le bras gauches. Le cou est exceptionnellement haut et la rainure dorsale est visible jusqu’au vêtement. Le sein droit est à peine marqué. Le bras droit est très détaché et il y a une disproportion flagrante entre le haut du bras charnu et l’avant-bras mince prolongé par une toute petite main tenant un gobelet à pied dont le haut est cassé37, tandis que la main gauche est libre. Le bas des jambes et les pieds, également écartés, sont aussi massifs et disgracieux que ceux de l’homme et le socle rond est identique, mais sans relief sculpté. Une petite encoche sur le côté gauche de la femme avait été ménagée pour inclure une statuette beaucoup plus petite, dont malheureusement il ne reste que la base et la partie inférieure des jambes, effigie d’un enfant sans doute.

Il est certain que la taille inusitée de ces deux statues et la singularité de leurs yeux les désignent volontiers comme un couple, mais nous continuons à y voir des orants dont l’attitude et le costume ne les différencient en rien des autres. Si l’on tient compte de la valeur hiérarchique donnée à la taille par les Mésopotamiens qui leur faisait représenter le dieu plus grand que le roi et le roi plus grand que ses sujets38, le couple de Tell Asmar peut tout aussi bien être un souverain et son épouse restés dans l’anonymat, car il semble bien qu’à cette phase de l’évolution, la statue n’ait pas habituellement porté d’inscription, alors que les rois du D.A. III sont dûment identifiés (ci-dessous p. 83 ss).

Les autres orants de la cachette portent les cheveux longs, séparés par une raie au milieu descendant jusqu’à la nuque et ramenés par devant en deux mèches striées qui encadrent la barbe, striée de la même façon, horizontalement. Un seul est imberbe avec le crâne entièrement rasé39. Il lève légèrement la tête comme deux orants de Khafadje, également glabres avec le crâne rasé, de même facture et qui, bien que trouvés dans le niveau IX du temple de Sin, remontent certainement au D.A. II40. Le cou est d’une hauteur normale, alors que la plupart des hommes et des femmes ont la tête posée sur les larges épaules sans intermédiaire, ce qui alourdit singulièrement la silhouette. Pour renforcer la solidité, les jambes peuvent être adossées à un montant qui réunit par-derrière le bas de la jupe au socle de la statue41. Les pieds sont généralement alignés au D.A. II. Une statue élancée d’adorant imberbe de Nippur présente les mêmes caractéristiques42 (Fig. 19). Les jambes, qui étaient sculptées à part, manquent. La jupe à ceinture en bourrelet est unie, mais s’orne d’une frange laineuse déjà stylisée. Les mains croisées sont dominées par les deux pouces relevés comme sur la Diyala à cette époque. Les épaules sont très larges, le buste est taillé en quatre pans. Un œil de coquille incrusté dans le bitume subsiste, mais la pupille a disparu.

19. Nippur. Orant. Calcaire.

L’habillement est bien fixé, avec cependant les variantes que comporte toute mode : le buste nu pour les hommes et la jupe serrée à la taille par une ceinture en bourrelet dont une extrémité, rarement deux, ressort derrière du côté gauche en pan effrangé43. La matière du vêtement a fait l’objet de nombreuses études que Mme Strommenger a rappelées récemment44. Au D.A. II, il est généralement uni et terminé dans le bas par une frange lancéolée plus ou moins haute, tissu bordé de toison laineuse ou peau d’animal rasée jusqu’à une certaine hauteur. La hauteur d’une toison n’était pas suffisante pour constituer la hauteur d’une jupe et c’est sans doute la raison pour laquelle la méthode des volants sera utilisée ensuite pour le kaunakès (ci-dessous, p. 76). Une statuette de la cachette de Tell Asmar porte pourtant une jupe toute en toison, mais qui part des hanches et non de la taille, sans ceinture et l’on apprécie ainsi l’épaisseur de la matière laineuse45. Cet orant barbu est aussi le seul de la cachette à avoir les yeux sculptés et non creusés pour l’incrustation, comme une autre statue trouvée en deux morceaux à proximité46.

Les deux femmes de la cachette portent la même robe unie, bordée d’un galon, également uni. Il n’y a aucune attache visible sur l’épaule gauche. Le vêtement est un peu plus long que celui des hommes. L’orante la plus petite47 porte les cheveux longs nattés en auréole comme l’autre, mais le sculpteur a indiqué les cheveux tressés avec peut-être une autre matière comme des lanières de tissu et le sommet pointu de la tête semble indiquer une monture sous les cheveux ou une épingle à large tête qui sera souvent plus visible au D.A. III48.

H. Frankfort a signalé que lorsque les statues ont été réunies et enfouies sous le sol du Temple carré, elles étaient en bon état excepté le personnage agenouillé49 qui a été conservé bien que brisé en deux morceaux incomplets. L’homme se distingue nettement des autres en ce qu’il est nu, mise à part une haute ceinture à cinq rangs, et agenouillé50. Restauré, il mesure 21 cm de haut. Ses mains sont jointes avec l’index enroulé, mais les coudes ne sont pas pointus. Sa longue barbe arrondie ne se distingue pas du reste du visage dont les yeux sont vides de leur incrustation. Les cheveux n’encadrent pas la barbe, mais forment une masse épaisse sur la nuque, surmontés d’une coiffure arrondie en polos dont le sommet est creusé. Aucun détail n’est indiqué, ce qui est peut-être dû à la matière, un albâtre semi-translucide d’une chaude couleur ambrée. La cavité au sommet de la tête et deux petites agrafes de cuivre plantées l’une au-dessus de l’autre dans l’arrière de la ceinture ont fait identifier la statuette comme un support de récipient dont le Dynastique Archaïque II atteste un certain nombre d’exemples en ronde bosse. À cette catégorie appartiennent deux statuettes en albâtre translucide verdâtre du musée de Bagdad qui auraient été trouvées à Tell Djokha (Umma)51. Ce sont des hommes d’allure élancée, barbus, nus, mais ceints d’un triple lien, les mains jointes, les bras détachés du corps (Fig. 20).

20. Tell Djokha. Statue masculine composite. Albâtre.

Une inscription sur l’épaule droite de la plus grande est au nom d’un roi d’Umma dont la lecture fait difficulté52. Hanches et cuisses sont minces, la jambe gauche dessine le mouvement en avant comme dans les statuettes en cuivre, mais les jambes sont coupées au bas des cuisses pour recevoir des jambes en métal fixées par des rivets à des trous, visibles en IM 8969, la plus grande des statuettes. Cette dernière présente des trous latéralement sur les tempes pour fixer des cornes que l’on a reconstituées et trois petits trous dans la barbe autour de la bouche ainsi que deux sur le haut de la poitrine suggèrent des incrustations de la barbe et des boucles latérales postiches. Un autre trou au bas du dos a permis de fixer une queue reconstituée pour compléter la silhouette d’un homme-taureau, tels que les présentent les cylindres-sceaux du D.A. II, en particulier à Fara53. La plus petite, qui est en mauvais état, présente au sommet de la tête un trou carré vertical, creusé pour l’insertion d’un tenon54 qui s’explique par le port d’un récipient. Ces statuettes-support en pierre et métal sont un héritage de l’époque de Jemdet Nasr dont la lionne dressée proto-élamite fournissait un bel exemple (ci-dessus, p. 45) (Pl. 35).

Déjà l’époque de Jemdet Nasr attestait que la nudité était requise dans les scènes cultuelles pour les porteurs de récipient, tels que nous les voyons en procession sur le vase d’albâtre de Warka55. Au Dynastique Archaïque, les bas-reliefs et la glyptique montrent que la nudité est maintenue pour certains actes religieux et en particulier la libation56. Dans tous ces cas, l’homme est rasé et imberbe, alors que dans les sites de la Diyala la nudité masculine est mitigée par une ceinture et elle est accompagnée du port de la barbe et des cheveux longs. C’est ainsi que se présente un petit homme un genou en terre du temple de Shara à Tell Agrab57 (Pl. 38). Il assure de ses deux mains l’équilibre d’un vase volumineux en même pierre, à fond arrondi et bord saillant qui repose sur sa tête. Ce type de vase est connu sur la Diyala depuis le D.A. I58, mais on le trouve encore au D.A. III à Mari, comme en témoigne un bel exemplaire dédié par le roi Iku-Shamagan à la déesse Ishtarat59. La liberté d’allure du porteur d’offrande contraste avec le hiératisme des personnages debout en pierre et correspond sans doute à l’impulsion donnée à la sculpture par les métallurgistes. C’est en effet au D.A. II que doivent remonter les statues en cuivre de la Diyala, dont certaines ont précisément servi de supports d’offrandes dans les temples.

Trois statuettes de cuivre avaient été réunies tête-bêche pour tenir le moins de place possible et cachées à l’intérieur du mur d’enceinte du plus ancien Temple ovale à Khafadje60. Toutes trois représentent un homme nu barbu, aux cheveux longs, de taille élancée, dans l’attitude de la marche, les mains jointes décollées du corps, la taille entourée d’une ceinture plus ou moins haute, suivant le nombre de liens qui la constituent. Chacune est fixée à un socle circulaire muni de quatre pieds s’évasant vers l’extérieur et retombant à la verticale, analogue à un fragment de plus grande taille trouvé à la surface du temple de Shara à Tell Agrab61 et au socle, à cinq pieds celui-là, d’un support en fils de cuivre trouvé dans une tombe de Kish, également attribuée au D.A. II62. Seule la plus grande statuette a conservé sur sa tête un appendice cylindrique s’épanouissant en quatre branches63 (Pl. 39) destiné à recevoir un récipient qui devait être en pierre comme c’est le cas du support de Kish. Les épaules sont tombantes et non horizontales comme celles des statues de pierre, la tête est également plus dégagée. H. Frankfort signale une inscription dans le dos, trop corrodée pour être lue64. Les yeux sont vidés de leur incrustation ; la chevelure est réduite à deux boucles en spirale descendant latéralement du crâne en avant des oreilles, encadrant le visage et la longue barbe arrondie comme celle que portait l’homme agenouillé de Tell Asmar, alors que les deux autres exemplaires portent les cheveux sur la nuque, précisément comme l’orant agenouillé de Tell Asmar. Plus petits de taille, ils avaient perdu leur appendice sur le crâne dont ils gardent cependant la trace65, tandis qu’un exemplaire plus petit de Tell Agrab, dans la même attitude de prière, porte sur sa tête un support circulaire s’évasant largement en cornet66. Le socle, d’un type différent, est brisé. Les yeux étaient incrustés de coquille, les cheveux sont coupés courts sur la nuque et la barbe est effilée. Toutes ces statuettes ont été moulées à la cire perdue et l’analyse des exemplaires de Khafadje a révélé que le métal était du cuivre presque pur — 99% de cuivre et 0,63% d’étain67.

Une statuette en cuivre presque pur d’homme nu portant un objet cubique en forme de boîte sur son crâne rasé est également dans l’attitude de la marche, les deux avant-bras projetés en avant (Pl. 40). Acquis sans indication de provenance par le Metropolitan Museum de New York68, il se distingue des exemplaires précédents par plusieurs détails : 1) L’homme est complètement rasé et imberbe ; 2) les yeux sont sculptés ; 3) Les avant-bras sont projetés en avant avec les poings fermés comme pour faire équilibre avec le lourd fardeau qu’il porte sur la tête ; 4) le socle est une simple plaque de cuivre rectangulaire. Il s’agit probablement de la représentation d’un athlète69 ; sujet que l’on retrouve avec deux lutteurs de Khafadje qui sont en même temps support de récipients70 (Pl. 41) : deux hommes nus, rasés, sont courbés l’un vers l’autre et se saisissent par le bourrelet dont ils sont ceints, qui est en réalité une sorte de culotte. Leurs pieds à plat reposent sur une plaque allongée dont une extrémité est endommagée. Ils évoquent ainsi le premier temps de la lutte dont une représentation est donnée sur une plaque de pierre de Khafadje, également trouvée dans le temple de Nintu71. Outre le mouvement qui anime ce couple, l’intérêt de l’objet vient aussi des vases que les hommes portent sur leur tête. Leur forme galbée est en effet celle de vases en pierre sur support, dont plusieurs exemplaires ont en particulier été trouvés à Nippur dans les niveaux du temple d’Inanna datant de la fin du D.A. II. Deux vases identiques sont ainsi portés par quatre oiseaux72 (Fig. 21), ou par quatre capridés saisis deux par deux par un homme73, tandis qu’un seul exemplaire est fixé sur le dos d’un taureau couché74.

21. Nippur. Double vase sur quatre oiseaux. Gypse.

Ces supports d’offrandes devaient voisiner avec les orants dans le sanctuaire. Comme eux, ils avaient leur place sur les banquettes qui longeaient les murs. Ceux qui représentent des hommes, qu’ils soient en pierre ou en métal, frappent par leur caractère élancé et leur mouvement, donné non seulement par le décalage du pied gauche en avant pour ceux qui sont debout, mais aussi par la projection des bras. Ils contrastent avec la rigidité des orants en pierre dont ils se différencient également par leur absence de vêtement autre qu’une ceinture. La présence de l’homme agenouillé dans la cachette de Tell Asmar prouve cependant que les deux courants ont existé simultanément. Nous aurons cependant l’occasion de remarquer souvent la supériorité du travail du métal sur celui de la pierre en ronde bosse pour des œuvres contemporaines. Cette caractéristique de l’art du Proche-Orient ancien dont la première moitié du IIIe millénaire nous offre ainsi les premières manifestations, restera perceptible jusqu’à la fin de l’époque sassanide. H. Frankfort attribuait cette supériorité des œuvres en métal au fait que les Mésopotamiens étaient plus habiles à modeler la terre qu’à tailler la pierre75. Un nouvel exemple en est fourni par un orant en cuivre du Louvre, de provenance inconnue76 (Pl. 42). Le modelé des épaules et des bras nus, ainsi que celui des jambes, est bien rendu ; la jupe courte, serrée à la taille par un bourrelet, est faite d’une seule hauteur de languettes. Les deux pieds décalés dans l’attitude de la marche reposent sur une petite base de métal. Le bras droit écarté du corps est cassé au coude, le bras gauche est ramené sur la poitrine avec le pouce étendu, légèrement arqué vers le haut, ce qui est typique du D.A. II comme les cheveux longs et la longue barbe striée horizontalement qui envahit le visage.

Si la nudité pouvait s’expliquer par une fonction cultuelle dans les exemples précédents, sa raison nous échappe à propos de trois statuettes en cuivre trouvées dans le temple de Shara à Tell Agrab, au même endroit que le petit char aux quatre onagres (ci-dessous, p. 131). Il y a ici deux hommes, mais aussi une femme, nus, debout chacun sur un socle plat, les deux pieds dans le même alignement. Les hommes projettent en avant leurs mains jointes et sont campés sur leurs jambes écartées, tandis que la femme a les jambes réunies, la main gauche ramenée sur le sein droit et le bras gauche décollé du corps et projeté en avant dans un geste indéterminé77. Le modelé est peu poussé, les seins sont plaqués sur le corps plat. Elle ne porte pas de ceinture qui est réservée à ses compagnons, mais comme eux elle a le cou dans les épaules, des yeux de coquille sertis dans du bitume. Ses cheveux longs sont enroulés en une mèche autour de la tête, suivant une coiffure analogue à celle de la grande dame du Temple carré à Tell Asmar. La plus grande des statuettes masculines78 porte deux boucles latérales en spirale comme le plus grand support en cuivre de Khafadje (ci-dessus, p. 59), mais tandis que celle de droite tombe sur la poitrine le long de la barbe, la boucle gauche est rejetée en arrière sur l’omoplate, ce que l’on retrouve également chez un orant en pierre assis, du même site79 et sur une statuette de Tell Khuera en Syrie du Nord (ci-dessous, p. 71).

Nous ignorons pourquoi ces orants — car le geste des hommes est bien celui de la prière, si celui de la femme est insolite — se présentent ainsi dévêtus. Ce pourrait être en raison d’un rite de fécondité pratiqué dans le temple, de même que la libation correspondait à un rite de fertilité. Une statuette d’homme nu en albâtre de Khafadje80, avec sa barbe, ses longs cheveux dans le dos, ses yeux sculptés, ses mains jointes, montre que les sculpteurs sur pierre ont aussi reçu commande de telles représentations, mais ici la nudité est totale, sans la ceinture portée par tous les exemplaires en cuivre. On peut en rapprocher un tout petit fragment en pierre, cassé en dessous de la taille et au-dessus des genoux, trouvé dans le temple de Ninni-zaza à Mari, sans doute un peu plus récent81. Un fragment féminin acéphale, aux formes pleines, trouvé au niveau du premier Temple ovale à Khafadje, atteste une fois encore, pour rare qu’elle soit, que même pour une femme, la nudité était également de mise dans les temples82. Malgré la cassure des jambes et du bras droit, il faut noter que le bras gauche plié sur le ventre n’est pas le geste de la prière.

Témoins d’une autre manifestation religieuse, mais d’une facture proche des hommes de la Diyala au D.A. II, il faut citer les petits bustes masculins en cuivre terminés en pointe, trouvés en cercles concentriques sous la « construction inférieure » à Tello83 (Fig. 22).

22. Tello. Figurine-clou de fondation. Cuivre.

La chevelure tombe sur les épaules en ondes parallèles horizontales, le nez est proéminent, les yeux sont faits de petites parcelles de métal appliqué et la bouche n’est généralement pas indiquée. L’absence de barbe a fait prendre ces figurines-clous pour des représentations féminines84, alors que le buste nu, la poitrine rarement soulignée, les mains jointes aux pouces relevés, les coudes pointus, apparentent étroitement ces créatures, associées à des rites de fondation, aux statues masculines vouées dans les temples de la Diyala85. Un type barbu de clou de fondation, représenté au British Museum, doit être également de la même époque86. L’homme est nu, les mains jointes, les bras aux coudes pointus largement détachés du corps. Les hanches sont fines, le sexe indiqué, mais au-dessous des genoux, les jambes se terminent en pointe.

Sans systématiser à l’extrême et en tenant compte des réserves de Sir Max Mallowan citées plus haut et qui nous semblent justifiées (n. 26), nous pouvons faire le portrait type des gens du Dynastique Archaïque II, tels que les ont vus les sculpteurs de la Diyala :

L’HOMME a les épaules larges et carrées, la taille mince soulignée par l’épannelage du buste en quatre faces verticales arrondies aux angles. Les faces latérales ont été plus ou moins cintrées, créant un vide entre le corps et le bras dont le coude est pointu. Les mains sont jointes l’une dans l’autre, dominées par les pouces croisés, souvent relevés en arc, à moins qu’elles n’enserrent un gobelet87. Le buste est nu, sans modelé ni indication des mamelons, et les reins sont ceints d’une longue jupe serrée par une ceinture en bourrelet dont l’extrémité frangée passe par en dessous et ressort en un pan court à gauche dans le dos. La jupe est unie, terminée dans le bas par une frange laineuse plus ou moins haute, sculptée en bandes parallèles lancéolées. Plus rarement, la jupe est tout entière faite de cette frange88, ou elle peut être faite de languettes superposées, mais sans former de véritables volants89. Le kaunakès à volants superposés fait cependant déjà son apparition sur une statuette masculine acéphale de Khafadje avec deux rangs superposés fixés au bourrelet de la ceinture90 (Fig. 23). L’attitude la plus courante est la station debout. Le bas des jambes et les pieds nus sont posés dans le même alignement sur un socle, joints ou légèrement écartés, doublés souvent par un renfort arrière qui unit le bas de la jupe au socle. Quelques exemples sont à signaler d’homme assis sur un siège bas, les jambes croisées91.

23. Khafadje. Orant. Albâtre.

La tête se présente sous trois aspects : 1) Dans la plupart des cas, l’homme porte de longs cheveux noirs et frisés et une longue barbe carrée, ondulée horizontalement par grandes stries, qui encadre la bouche, faite de deux saillies superposées, et couvre largement les joues92. Les cheveux sont partagés par une raie au milieu qui se prolonge sur l’occiput (Fig. 24) où ils se séparent en deux mèches ramenées devant pour encadrer la barbe.

24. Tell Asmar. Buste masculin de dos. Calcaire.

Par souci de réalisme, l’artiste a enduit la chevelure et la barbe de bitume93. 2) Rarement, et sans doute dans le cas de gens jeunes, les cheveux sont longs, mais le visage est imberbe94. 3) Quelques cas montrent le crâne et le visage rasés95. Ces trois aspects de l’homme sont visibles sur le relief circulaire de Tello, assurant ainsi leur simultanéité96 (Fig. 25 a-b) : les deux chefs sont imberbes et tous deux portent les cheveux longs. Ceux qui les suivent, mains jointes avec les pouces en arc de cercle, portent en majorité les cheveux longs et la barbe striée horizontalement, mais quelques-uns ont le crâne et le visage rasés. Tous sont vêtus de la jupe bordée d’un rang de languettes et serrée par un gros bourrelet.

25a-b. Tello. Relief circulaire. Calcaire.

De même que l’usage du bitume sur les cheveux et la barbe témoignait du désir de rendre le personnage plus ressemblant, l’insertion dans l’orbite par l’intermédiaire de bitume d’un iris de coquille et d’une prunelle de pierre noire ou plus exceptionnellement de lapis-lazuli97 rendait le fidèle plus vivant. L’œil peut aussi être sculpté, mais les cas sont encore rares98 et l’on peut supposer qu’alors il était peint. Les sourcils, incrustés ou non de bitume, se rejoignent à la racine du nez qui est dans le prolongement du front, droit et pointu de profil, large du bout, de face99, plus rarement aquilin100. La bouche est faite de deux saillies étroites superposées qui contribuent à donner à la physionomie un caractère sévère. Déjà à cette époque le nez pouvait être sculpté à part, comme en témoigne en particulier un buste masculin du British Museum, provenant « des environs immédiats de Babylone »101. Barbu et chevelu suivant la mode du D.A. II, l’homme a les yeux sculptés et non incrustés. L’emplacement du nez est perforé de deux trous ronds l’un au-dessus de l’autre, sans que l’on puisse affirmer s’il s’agit d’une réparation ou d’un traitement primitif. Il faut remarquer cependant que la statuette a été réutilisée, car outre le cartouche inscrit sur le bras droit, d’ailleurs illisible, mais qui doit dater du premier état, une seconde inscription plus superficielle et tout aussi indéchiffrable était gravée dans le dos et doit être postérieure.

LA FEMME est le plus souvent debout, mais elle peut aussi être assise sur un tabouret, les mains jointes ou tenant un rameau qui tombe sur sa jupe d’une main, tandis que l’autre peut tenir une coupe102. La robe droite unie couvre l’épaule gauche et descend en biais sous le bras droit, laissant l’épaule nue et parfois même le sein droit103. Le bras nu, fort et détaché du corps, se prolonge parfois par un avant-bras mince et une main minuscule104. L’avant-bras et la main gauche se dégagent du pan de la robe qui retombe verticalement jusqu’en bas, bordé comme le décolleté d’un galon uni105. C’est ainsi qu’est vêtue la statue acéphale d’une femme forte au modelé particulièrement soigné du temple VI de Nintu à Khafadje106. La qualité de la sculpture est exceptionnelle, mais son niveau de découverte, son vêtement et le bras droit détaché du corps la rattachent encore au D.A. II. Une question est posée par une statuette acéphale de Kish107 : un personnage, vêtu de la robe unie bordée d’un galon, est assis sur un tabouret décoré par-derrière d’un motif en forme de deux « bobines »108 (Pl. 43). Il tient le rameau de la main gauche et sa main droite est repliée sur la poitrine enserrant une coupe aujourd’hui perdue. Costume et attitude sont caractéristiques des femmes du D.A. II, mais une inscription sur la robe, sous l’avant-bras gauche, très fruste, où Langdon avait cru déchiffrer le nom incomplet d’un roi de Kish109, avait conduit le fouilleur à y voir une statue de roi, opinion reprise par E. Van Buren110. En fait, l’inscription est indéchiffrable111 et il faut y voir au contraire une statue féminine, dédiée probablement pour la vie d’un roi à la fin du D.A. II, lorsque l’inscription, rare, est encore sur le devant de la jupe, comme c’est le cas pour TAGGE de Mari (ci-dessous, p. 70) et pour une statue masculine de Nippur112.

Beaucoup plus rarement, et sans doute à la fin de la période, la matière unie de la robe est remplacée par une texture façonnée en languettes lancéolées113 qui correspond à la jupe de quelques hommes (ci-dessus, n. 89). Un exemple malhabile d’une robe à trois volants de kaunakès114 annonce la robe de la phase suivante qui en comptera davantage. C’est sans doute une œuvre de transition qui correspond tout à fait à la statue masculine, également acéphale, trouvée en même temps sur le second sol du niveau VI du temple de Nintu115, avec sa jupe à deux volants (ci-dessus, n. 90). Dans beaucoup de cas, le corps n’a aucune épaisseur. Les pieds sont toujours dans le même alignement.

Le principe de la coiffure est la natte auréolant la tête, posée très en arrière sur des cheveux ondulés qui tombent le long des joues. Une mèche, tressée ou non, part d’un seul côté, fait le tour de la tête et rentre sous son point de départ116 à moins que deux nattes se croisent sur la nuque et se rejoignent au sommet de la tête sans que leur extrémité soit visible117. Dès cette époque, alors que la coiffure n’a pas l’ampleur qu’elle prendra parfois au D.A. III, la natte est peut-être postiche, maintenue sur une armature au dos de la tête par des liens généralement tressés qui traversent horizontalement le dos de la tête au-dessus du départ de la natte118. Sur la nuque, une frange de cheveux courts était réservée119. Il semble même qu’une coiffe amovible ait pu imiter la natte120. La teinte noire des cheveux est indiquée, comme chez les hommes, par du bitume121.

Les yeux sont incrustés de coquille et de pierre noire ou bleue, mais ils peuvent aussi être sculptés122. Comme chez les hommes, le nez est le plus souvent droit et large du bout123, plus rarement arqué, « bourbonien »124. La bouche, comme chez l’homme, est faite de deux saillies parallèles serrées qui donnent une physionomie boudeuse125.

Les femmes sont généralement jeunes ou d’âge moyen. À Nippur, une femme âgée a simplement les cheveux tombant sur les épaules, partagés par une raie au milieu. Comme l’épouse de Tell Asmar, elle a de toutes petites mains, disproportionnées par rapport au haut des bras. Malgré le procédé des lèvres en saillie, elle esquisse un indéfinissable sourire126.

À côté de cette statuaire, il faut mentionner toute une série de petites sculptures mesurant à peine une dizaine de centimètres, dont le niveau VIII du temple de Sin à Khafadje a donné d’amusants exemplaires : femmes assises sur un tabouret127, couple assis s’enlaçant familièrement128, dont le niveau VII du temple d’Inanna à Nippur a livré un touchant témoignage, le seul qui ait conservé les têtes129 (Pl. 44). Une paire amusante de deux hommes barbus l’un derrière l’autre sur un char montre la vie et la liberté qui présidaient à l’élaboration de ces ex-voto130.

Ces types maintenant bien définis pour le D.A. II, quelle a été leur diffusion ? Nous connaissons mal cette époque en Mésopotamie du Sud et du Nord. Tello n’a livré que des reliefs (bas-relief circulaire, masse d’armes de Mesilim) et nous avons signalé quelques statues du niveau VII d’lnanna à Nippur qui se rattachent au style du D.A. II, alors que d’autres sont probablement plus tardives131. Si Assur et la vallée du haut Tigre ne sont pas encore représentés en ronde bosse, la vallée de l’Euphrate avec Mari et, beaucoup plus au nord, Tell Khuera, ont laissé des témoignages importants. Mari, il est vrai, n’offre guère que le bas d’une statue monumentale, c’est-à-dire une jupe unie, terminée devant par une frange laineuse, et l’amorce des jambes132 (Fig. 26).

26. Mari. Statue de TAGGE. Gypse.

Une inscription de quatorze cases en caractères archaïques barre la partie supérieure du devant de la jupe et rappelle la construction de trois édifices pour la déesse Nina, dont le dédicant, un certain TAGGE se vante133. Son nom n’est pas suivi du titre de roi et G. Dossin a émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’un roi étranger134. Jusqu’ici aucune statue typique du D.A. II ne portait d’inscription, sauf un torse trouvé dans une cour du temple VI de Nintu à Khafadje135, gravé devant, sur toute la poitrine, d’une inscription de cinq colonnes. Un orant assis de Nippur, aux longs cheveux ondulés horizontalement, porte sur le devant de sa jupe unie le nom de la déesse Inanna136. Il semble donc qu’à une époque où l’inscription est encore l’exception, elle se présente sur le devant de la statue, comme nous l’avons vu sur l’exemplaire de Kish (ci-dessus, p. 68). Pourtant une statue du Musée du Louvre, de style austère, porte sur le haut du bras et sur l’omoplate droite le nom d’un prince d’un lieu inconnu : Ginak, ensi d’Edin-e137 (Pl. 45). L’inscription n’est pas ordonnée en cartouche ou en colonnes. L’homme est en tous points semblable à ceux de la cachette de Tell Asmar avec la stylisation de la barbe et des cheveux faite de zig-zags, les mains jointes aux pouces relevés, la jupe à frange lancéolée. Il y a peut-être là le plus ancien chef sumérien connu par son nom.

Le style archaïque austère est remonté jusqu’au Haut Euphrate, à Tell Khuera, entre le Balih et le Khabur, où, dans les débris des chambres qui entouraient un sanctuaire du Dynastique Archaïque, ont été ramassés les fragments de plusieurs statues masculines en albâtre dont trois ont pu être remontées138 (Pl. 46). La ressemblance avec les statues de la Diyala au D.A. II est frappante, au point qu’elles pourraient être interchangeables139. Cette découverte souligne l’étendue de l’influence culturelle du monde sumérien le long de la vallée de l’Euphrate140. Il se peut que ces statues, représentant des notables anonymes de la ville, fixés dans l’attitude de la prière, aient été sculptées sur place par des artistes initiés dans la vallée de la Diyala, mais il n’est pas exclu qu’elles aient été commandées dans cet atelier dont la renommée avait atteint la vallée du Khabur. Une analyse de la pierre permettrait de vérifier cette hypothèse141. Il faut noter que les yeux sont sculptés et non incrustés.

Plus à l’ouest, le courant mésopotamien n’a pas pénétré et à Hama, sur l’Oronte, le niveau K, qui couvre la première moitié du IIIe millénaire142, a donné quelques sculptures tout à fait différentes où l’on retrouve le caractère rude de Tell Brak (ci-dessus, p. 38) et qui sera de tradition en Syrie du Nord au long des siècles. Une tête en pierre à coiffure tronconique, presque grandeur nature, doit avoir appartenu à une statue143 (Fig. 27).

27. Hama. Tête masculine. Calcaire.

Les oreilles sont placées plus haut que les yeux qui ont été creusés de deux larges cupules rondes recouvertes, comme le reste de la tête, d’une couche de plâtre qui porte encore des traces de peinture rouge sur les lèvres et au milieu du front. En même temps ont été trouvés deux bustes acéphales, également enduits de plâtre et peints de lignes noires et rouges144 et un buste complet, grossièrement épannelé145. La tête est séparée du corps par un évidement en forme de gorge ; les orbites sont peu profondes, la bouche à peine marquée, le menton inexistant ; le nez prolonge le front qui se termine en pain de sucre. Ce monument est le point de départ d’une longue chaîne d’idoles syriennes qui s’est développée au IIe millénaire.

Le style austère s’est aussi propagé à l’est de la Mésopotamie et se retrouve à Suse. En l’absence de stratigraphie définie, le partage entre les phases II et III des sculptures trouvées en 1908 sous le sol du temple de Ninkhursag-de-Suse est rendu malaisé par le caractère particulier des statues élamites146. Les parallèles les plus étroits avec la production de la Diyala sont fournis par un buste masculin en albâtre147 et une tête barbue en bitume (Pl. 47), aux orbites creusées pour l’incrustation148. Les longs cheveux encadrent la barbe qui couvre les joues.

Le buste inscrit au nom d’Eshpum, serviteur de « Manishtusu, roi de Kish » a été trouvé en 1906 également sous le temple de Ninkhursag-de-Suse149 (Pl. 48). Voué à la déesse élamite Narundi, il présente toutes les caractéristiques de la statuaire du D.A. II, comme l’a montré pertinemment Mme Eva Strommenger150 : les épaules sont larges avec les bras écartés du buste dont les quatre pans sont cependant rendus avec une certaine souplesse. Les mains étaient croisées sur la poitrine, sous la longue barbe, mais les bras ont été cassés aux épaules. L’œil droit avait conservé la sclérotique de coquille percée d’un trou, incrustée dans du bitume. La barbe, ondulée horizontalement, est striée de zig-zags verticaux, mais elle n’est pas encadrée par les habituelles mèches latérales, car les cheveux abondants sont taillés nets sur la nuque, à la hauteur du bas de l’oreille qu’ils dégagent et qui est maladroitement sculptée. Cette coiffure, qui n’a pas d’équivalent sur la Diyala151, est élamite, comme le confirme une petite tête susienne d’un homme barbu152. La statue d’Eshpum est donc bien une œuvre locale, qui aurait été réutilisée quelque trois siècles plus tard par un fonctionnaire du fils de Sargon. Il faut croire que le « gouverneur d’Élam », comme se nomme Eshpum sur une empreinte agadéenne de Suse153, avait un grand amour des antiquités pour avoir usurpé une statue aussi ancienne qui, à l’époque d’Akkad, n’avait sans doute pas besoin d’être un portrait du dédicant154. Il nous a valu de mieux connaître l’atelier de sculpture susien au Dynastique Archaïque II.

Les fouilles iraniennes récentes dans le désert de Lut, à Shahdad, à 120 km à l’est de Kerman, ont mis au jour des tombes contenant un riche mobilier funéraire : à côté de vases peints, de vases en stéatite, d’armes de cuivre, de sceaux-cylindres, ont été trouvées, de 1972 à 1974, des statues uniquement masculines en terre crue peinte, véritables portraits des morts155. Cette coutume n’était jusqu’à présent connue qu’en Élam au IIe millénaire (ci-dessous, p. 310 s.). Les tombes de Shahdad remontent au IIIe millénaire et sans doute s’étagent-elles sur plusieurs siècles. Les compte rendus n’étant encore que partiels, il faut attendre une publication définitive pour une chronologie plus précise. La caractéristique de ces étonnantes statues est l’absence de jambes et en fait certaines sont agenouillées, tandis que les autres se terminent par une base évasée. Toutes ont les mains jointes. Comme l’a montré P. Amiet, l’une d’entre elles « a les formes géométriques, l’attitude des bras et la coiffure caractéristiques de la statuaire présargonique II »156. En fait les cheveux encadrant la longue barbe sont ondulés horizontalement comme sur le buste d’Eshpum de Suse. Une autre statue157 (Pl. 49) a de très larges épaules, des pectoraux accentués en accolade, les bras séparés du corps qui est traité en quatre plans se raccor dant en formant un angle arrondi comme au D.A. II, mais la courte barbe ovale dégage une partie des joues et une moustache surmonte la lèvre supérieure et de plus la tête est bien dégagée du corps. Les yeux sont clos, allongés, sous les arcades sourcilières peintes en noir. C’est plutôt un mort qu’un vivant qui est représenté là. Les autres statues sont probablement plus récentes et peuvent s’étager jusqu’à la fin du IIIe millénaire158.

Dynastique Archaïque III (2600-2340 env.)

La sculpture a connu un essor spectaculaire durant cette troisième phase et surtout, semble-t-il, vers la fin de la période159. Le passage du style austère du D.A. II au style souriant du D.A. III a dû se faire insensiblement, ainsi que l’assouplissement des formes. Le caractère religieux des statues destinées aux temples a maintenu longuement une unité dans les ateliers de sculpture qui n’exclut pas cependant une certaine individualité dont les artistes de la Diyala et de Mari en particulier ont donné maints exemples.

Le fait nouveau est l’usage croissant de l’inscription qui identifie le personnage, parfois royal et connu par d’autres écrits. Paradoxalement ce n’est pas toujours une facilité, car le style ne correspond pas forcément à ce que l’on aurait pu déduire d’une pièce datée et l’usurpation, comme c’est le cas pour la statue d’Eshpum, ne peut être l’explication normale. D’autre part, il s’en faut de beaucoup que les synchronismes soient assurés d’une ville à l’autre.

Des changements de mode interviennent tant chez les hommes que chez les femmes. L’homme a le plus souvent le crâne rasé, mais il est soit barbu, soit imberbe. Les yeux sculptés l’emportent progressivement sur l’incrustation. La jupe devient une superposition de volants de toison laineuse, le kaunakès, qui est un costume d’homme de condition, sinon royal, comme en témoigne la scène du banquet de l’« Etendard » d’Ur160. En effet un seul homme y porte la jupe-kaunakès : le principal protagoniste, vers qui sont tournés les autres convives, les serviteurs qui s’affairent et les musiciens, tous également vêtus de la jupe unie frangée. De même, sur les plaques perforées d’Ur-Nanshe, seuls le roi de Lagash et sa femme ont droit au kaunakès, les fils et les fonctionnaires portant la jupe unie161. Au terme d’une étude documentée, un spécialiste des tissus, Emile Cherblanc, a repris l’étude du kaunakès, un demi-siècle après Léon Heuzey162 et a conclu que le kaunakès désigne « des poils, des toisons, des peaux, des pelleteries, en multiples usages », puis la forme des vêtements en peaux, pelleteries, poils ou laine et enfin, par confusion, les étoffes, tissées ou non. Dans la tombe royale 357 d’Ur, Woolley, avec son extraordinaire maîtrise, a décelé autour des jambes et des pieds d’un squelette trois sortes de tissus tombés en poussière : l’un, uni et grossier, tissé à angle droit ; un deuxième, fin, tissé en diagonale, et un troisième, tissé à angle droit, lâche, avec de longs fils d’un côté évoquant de longs poils ou les mèches du kaunakès163. C’est le seul cas de tissu imitant la toison qui ait été retrouvé, attestant qu’au D.A. III une étoffe à longs poils était tissée à cet effet, mais l’usage n’en était pas forcément courant. La découverte, dans une autre tombe royale d’Ur de deux béliers en or et argent dont la toison de coquille et de lapis-lazuli est traitée comme le vêtement de kaunakès avait permis d’identifier définitivement le volant à mèches verticales comme une peau de chèvre ou de mouton164, ce qu’a confirmé encore un arrière-train d’animal couché du temple d’Ishtar à Mari, avec ses quatre rangs de languettes superposées, stylisant la toison165.

Lorsque l’homme est debout, il est presque toujours dans l’attitude de la marche, le pied gauche en avant, tandis que la femme garde les pieds dans le même alignement. Les statues assises se multiplient. L’attitude des mains jointes est plus diversifiée, mais la plus courante est une main enserrant l’autre.

Le costume féminin est la robe-kaunakès, libérant l’épaule et le bras droits, parfois recouverte d’une cape de même matière qui couvre les deux épaules et d’où se dégagent les avant-bras. La coiffure est d’une grande variété, d’une grande complexité aussi, nécessitant peignes, épingles et résilles et enfin le bandeau qui sera la règle à partir de l’époque d’Akkad.

Maintenant que l’identification de certains personnages est connue par une inscription sur leur statue, que savons-nous des divinités, des souverains ou des fidèles de cette époque ?

1) Divinités

Notre enquête sur la « statue de culte » nous a amenée à la conclusion qu’à ce stade une statue divine adorée dans la cella du temple n’était encore jamais apparue166 et depuis lors aucun nouvel élément positif n’est venu l’infirmer, comme l’eût été la découverte d’une statue divine de quelque dimension. Mais à défaut de statues de culte, de petites effigies de caractère divin méritent d’être mentionnées.

Dès cette période, le caractère divin est indiqué dans l’iconographie par la paire de cornes que portent les êtres humains et dont les premières représentations apparaissent sur des bas-reliefs (scènes de libation de Nippur, de Tello, d’Ur, stèle des Vautours)167. Les plus anciens exemplaires datés en ronde bosse sont les clous de fondation en cuivre, surmontés d’un buste masculin aux mains jointes pour la prière, imberbes, à la grande bouche, au nez bourbonien, aux longs cheveux séparés au milieu par une raie et coiffés en quatre mèches parallèles superposées de chaque côté du visage. Au-dessus du front pointe de chaque côté une très petite corne. Le premier de ces clous qui ait été publié appartenait à une collection privée suisse168 (Fig. 28).

28. Figurine-clou de fondation au nom d’Enannatum de Lagash. Cuivre.

Il est inscrit au nom d’Enannatum (I), prince de Lagash, fils d’Akurgal, le frère et le successeur d’Eannatum et l’on sait maintenant, grâce aux fouilles américaines à el Hiba où sept autres figurines semblables ont été trouvées, que telle devait être également sa provenance169. Entemena, en succédant à son père Enannatum sur le trône de Lagash, continua la même pratique, tradition de la dynastie depuis son fondateur Ur-Nanshe, et ses figurines sont presque interchangeables avec celles de son père, mais elles ont été trouvées à Tello170. Les inscriptions permettent d’identifier cet être divin : il s’agit du dieu personnel des souverains de la dynastie, Shul-utula, qui a reçu mission de « se tenir à jamais en prière devant Inanna » (Enannatum) ou devant Enlil ou Ningirsu (Entemena)171. C’est une divinité intermédiaire entre l’homme et les dieux, qui prie à sa place. Toutefois la figurine-clou peut également représenter le roi qui fait la fondation d’un temple, lorsque les cornes ne sont pas indiquées et que le texte ne fait pas allusion au dieu personnel. Le doute existe à propos des figurines antérieures ou contemporaines d’Ur-Nanshe, en particulier l’unique exemplaire en pierre172 et également pour la statue-clou au nom du roi d’Uruk et d’Ur, Lugalkisalsi (Pl. 50), qui régna peu après Entemena de Lagash173 (ci-dessous, p. 84). Cette statue n’a de commun avec les statues-clous de cuivre d’Enannatum et d’Entemena que la position des mains jointes aux doigts allongés174. Le bas du corps, sous la taille, est grossièrement épannelé en forme de cône épointé dont la face antérieure et le côté droit sont gravés d’une inscription de cinq colonnes mentionnant le nom du roi Lugalkisalsi et celui de la déesse Nammu175. L’homme, bien en chair, a des épaules rondes, les bras bien observés, collés au corps, le cou massif et court. Une barbe continuant les cheveux sur les tempes encadre les pommettes et s’arrondit sous la lèvre inférieure pour tomber en six mèches striées en arêtes de poisson qui passent derrière les mains et tombent presque jusqu’à la taille, terminées par six bouclettes bien alignées horizontalement. Les cheveux traités de la même façon partent bas sur le front en huit mèches parallèles qui tombent dans le dos, contournant les oreilles énormes, et terminées par autant de bouclettes. Le nez a été martelé, les yeux sont sculptés dans un liséré ovale, l’arcade sourcilière, soulignée d’une mince ligne, rejoint la naissance du nez. Les lèvres en léger relief arqué vers le haut esquissent un sourire. S’agit-il ici encore d’une divinité tutélaire transmettant la prière du roi à la déesse ? E. Strommenger conclut à un être supra-terrestre par comparaison avec les clous d’Entemena, mais surtout à cause de l’étoile gravée sur l’épaule droite176. À cela on peut rétorquer qu’un buste acéphale inscrit de Khafadje135 porte un croissant pointes en l’air sur le haut du bras droit et que rien n’indique qu’il s’agisse d’une divinité177. La ressemblance avec deux bustes, l’un acquis par le Louvre178 (Pl. 51), l’autre trouvé à Uruk179 (Fig. 29), les a fait reconnaître comme des statues-clous dont le corps épointé aurait été cassé. Leur exécution est beaucoup plus soignée. Les mamelons en relief sont indiqués. La barbe est faite de six mèches calamistrées séparées par des chapelets verticaux de perforations pour des incrustations et terminées par des bouclettes. Les cheveux sont également calamistrés et tombent en huit mèches formant un rectangle jusqu’à la taille dans le dos. Sur le buste de Warka, le dessin de la chevelure s’arrête sur la nuque, les cheveux tombant ensuite librement jusqu’à la taille180. Cette rupture du dessin calamistré s’observe, mais à l’inverse sur la statuette d’Ur-Nanshe de Mari181. Les trois statues ont toutes chances d’être contemporaines, mais on ne peut affirmer qu’elles représentent toutes trois le roi Lugalkisalsi, ni que l’on a là des effigies de son dieu personnel182.

29. Warka. Buste masculin de dos. Calcaire.

À peu près contemporain doit être le dépôt de fondation découvert en 1965 dans la cour XXVI du Palais présargonique de Mari et publié par André Parrot comme le « trésor d’Ur »183, avant d’être reconnu en 1973 par le fouilleur comme « offrande de fondation »184. Il contenait une perle au nom de Mesanepada, roi d’Ur, à côté d’objets précieux dont une figurine de femme nue en bronze rehaussé d’argent et d’or (Pl. 52). Tout est insolite dans cette toute petite statuette185 : le bandeau d’or serrant la chevelure en argent, séparée sur l’occiput par une raie au milieu et dégageant la nuque, les deux petites cornes d’argent qui pointent parallèlement au front186, les sourcils autrefois incrustés d’or, les grands yeux en coquille avec pupille de lapis-lazuli, le long cou, l’étroitesse de la taille soulignant la largeur des hanches, la sveltesse des jambes, le geste des avant-bras tendus parallèlement en avant comme pour tenir les rênes d’un char. Les mamelons et le nombril évidés devaient être incrustés d’or comme les sourcils. Le tenon sous les pieds joints indique un support qui expliquait l’attitude de la divinité. A. Parrot en a rapproché à juste titre une figurine d’argent massif du musée de Berlin dont la provenance hypothétique serait Hamadan187. Bien que cette statuette de Berlin ait été généralement attribuée au IIe millénaire, elle pourrait, de ce fait, être plus ancienne188. En tout cas la figurine de Mari n’a pas jusqu’à présent de répondant en pays sumérien189 et une origine de Mésopotamie ou de Syrie du Nord, voire de Syrie-Palestine, a été proposée190. Quoi qu’il en soit, cette petite déesse anonyme était sans doute dans les degrés inférieurs de la hiérarchie divine, comme ces déesses nues de la pluie et de l’orage debout sur un dragon que les cylindres de l’époque d’Akkad vont souvent représenter191. Elle faisait partie des objets précieux réunis dans la jarre du palais de Mari, à l’état parfois fragmentaire, comme les statuettes d’ivoire (ci-dessous, p. 117)192 et les conditions d’enfouissement sont sans doute analogues à celles des cachettes comme celle du temple d’Abu à Tell Asmar (ci-dessus, pp. 52-56) où avait été conservée une statuette mutilée.

À Mari aussi a été retrouvée, mais dans le temple présargonique de Dagan, une statuette en terre mal cuite d’un homme barbu aux longs cheveux, assis sur un tabouret cubique dont les côtés s’ornent d’un taureau passant193. Il est vêtu d’un long manteau uni bordé d’une frange dans le bas qui couvre ses épaules et les avant-bras. Les mains reposent sur les genoux et la droite tient un rameau. Les yeux globuleux en coquille avec une pupille noire donnent un regard étrange à cette silhouette en qui A. Parrot voit une divinité, et peut-être même Dagan lui-même, en raison des taureaux du siège. La mauvaise qualité de l’œuvre et sa petite taille ne font pas grand honneur à l’artiste qui l’a modelée ni au fidèle qui l’a offerte.

Une tête féminine au polos de Mari (Pl. 53), trouvée non loin du temple de Ninkhursag194, avec sa rangée de festons évoquant la montagne à la base du polos et les perforations latérales destinées peut-être à des cornes de métal, a été identifiée avec la « dame de la montagne »195. Vingt ans après, le fouilleur hésite à y reconnaître la déesse196 et l’on peut y voir une prêtresse de Ninkhursag.

Peut-on aussi penser à une déesse avec une curieuse statuette acéphale appartenant à un collectionneur allemand qui en a confié la publication à Mme Strommenger197 (Fig. 30).

30. Femme portant un couple en pendentif. Calcaire.

Debout, mains jointes, elle porte une longue robe unie, terminée par un rang de kaunakès, recouverte d’une cape unie qui dégage les avant-bras, bordée latéralement d’un bourrelet strié et dans le bas d’un rang de toison plus haut que celui de la robe. Le socle fait corps avec le bas du vêtement par derrière et il est évidé devant pour laisser apparents les chevilles et les pieds nus qui reposent sur un piédestal bas, gravé par devant et latéralement d’un dessin losangique. Un trou de mortaise était creusé à l’emplacement du cou pour la tête qui a disparu. Le caractère insolite vient de la chaîne en sautoir à laquelle est suspendu un couple nu enlacé, debout sur un socle bas, également strié de losanges. L’homme imberbe aux longs cheveux dans le dos tient la femme par le poignet gauche et enserre le haut de son bras droit sous la chevelure maintenue par un étroit bandeau selon la mode de la fin du D.A. III, attestée aussi par le vêtement de la statuette. L’attitude du couple est comparable à celle des terres cuites de Suse en forme de lits, comme l’a très bien montré Mme Strommenger198, mais ici, en raison du socle gravé sous les pieds, il semble bien que le couple soit debout et non couché. L’auteur de la publication propose de voir dans cette femme une haute dignitaire, à moins qu’il ne s’agisse d’une prêtresse. En ce cas, il ne peut s’agir que d’une prêtresse au service d’une déesse de fécondité et peut-être encore de la « dame de la montagne », Ninkhursag que suggèrent les dessins losangiques des deux socles. Mais il peut aussi s’agir de la déesse elle-même, présidant aux accouplements.

2) Souverains

Quelques statues royales présargoniques, dûment inscrites, nous sont parvenues, mais elles sont peu nombreuses en regard de celles qui ont dû exister. En particulier aucun dynaste d’Ur ne nous est connu. Ces statues étaient offertes en ex-voto dans les temples, aux côtés de simples fidèles ou de fonctionnaires et au même titre que les reliefs relatant des événements. Si nous connaissons les rois de Lagash, Ur-Nanshe et Eannatum, c’est par les reliefs généalogiques du premier199 ou par la stèle des Vautours qui célèbre la victoire du second sur Umma200, alors que leurs représentations en ronde bosse n’ont pas encore été mises au jour. De cette dynastie, le musée de Bagdad conserve une statue acéphale d’un neveu d’Eannatum, fils de son frère Enannatum, du nom de Meanesi201. L’inscription qui couvre tout le dos du buste nu ne permet pas de savoir s’il a régné, car il ne porte aucun titre. Sa statue est vouée à Lugal-Uruba pour la vie de son père et de sa mère et elle était « dressée dans le temple » où il se présentait debout, vêtu de la jupe de kaunakès à cinq rangs épais, serrée à la taille par un étroit bourrelet qui s’épanouit sur la hache gauche en un volumineux pan fait lui-même de quatre rangs superposés. Les bras sont cassés et la face antérieure est mutilée.

Son frère Entemena, autre fils d’Enannatum, a voué de même sa statue en diorite qui a été retrouvée décapitée à Ur202 (Pl. 54). C’est peut-être la plus ancienne utilisation de cette pierre noire dure à Lagash où l’atelier de sculpture se spécialisa dans la taille de la « pierre de Magan » sous le règne de Gudéa203. Le prince (ensi-gal)204 est debout, les mains l’une dans l’autre, vêtu d’une épaisse jupe de kaunakès à sept rangs qui tombe jusqu’aux chevilles, surplombant par derrière le socle arrondi, creusé devant pour laisser la place des pieds nus alignés et légèrement écartés, d’une facture assez grossière. L’épaisseur de la matière donne une jupe beaucoup plus encombrante qu’à l’époque précédente, ce qui est tout aussi apparent sur les statues assises (cf. Ebiḫ-il, Dudu). Chaque languette striée est soigneusement sculptée avec une grande régularité. Un détail nouveau à noter est la représentation des mamelons, ici incisés d’un cercle. Les épaules sont larges, les bras contre le corps, les coudes encore légèrement pointus. La dédicace sumérienne à Enlil couvre les omoplates et le haut du bras droit. Sir Leonard Woolley a insisté sur le fait que la tête avait disparu dans l’antiquité et que la cassure était polie205, ce qui n’a pas empêché les successeurs du souverain de Lagash de la préserver jusqu’à ce qu’elle aboutisse probablement dans le « musée » de Nabonide à Ur près de deux millénaires plus tard. Nous savons par les tablettes économiques de l’un de ses successeurs, Urukagina, que des statues d’Ur-Nanshe, d’Entemena, de Lugalanda et de sa femme Barnamtara recevaient encore des offrandes sous son règne206.

Par bonheur, nous pouvons nous faire une idée du visage des rois de Lagash grâce à la statue complète d’un roi d’Adab, trouvée au début du siècle par Banks à Bismya207 (Pl. 55 a-c). Le roi Lugaldalu se présente comme Meanesi et Entemena pour l’attitude et le costume. Sa tête est rasée et imberbe ; ses yeux et ses sourcils évidés ont perdu toute incrustation ; sa bouche aux lèvres modelées esquisse un sourire qui éclaire la physionomie, trait caractéristique du D.A. III. Le cou, sans être haut, est presque normal. Ces rois ont dû régner vers 2400 av. J.-C.208.

Plus récent est un autre ensi d’Adab, du nom de Meskigal, qui est représenté debout, d’une haute taille, entré au Musée de Bagdad sans origine connue209. Son nom est attesté sous le règne de Lugalzagesi et de Rimush210, ce qui le situe en transition entre le D.A. III et l’empire d’Akkad. Cette indication est importante, car malgré une médiocre qualité et le mauvais état de conservation, la statue présente des traits intéressants. Tout d’abord le kaunakès qui s’arrête au-dessous des genoux recouvre l’épaule et le bras gauches, innovation illustrée par Sargon sur une stèle (ci-dessous, p. 146). Les mains sont l’une dans l’autre, avec les doigts de la main droite maladroitement orientés en oblique vers le bas. Le bandeau tressé enserrant les cheveux noués en chignon est la coiffure représentée en or dans la tombe de Meskalamdug à Ur (ci-dessous, n. 227), ainsi que celle du roi Lamgi-Mari (ci-dessous, p. 88), ce qui permet de le situer dans la même période, où le kaunakès a cessé d’être une jupe pour les hommes, à moins que le manteau qui couvre l’épaule ne soit un vêtement royal. Le visage a été martelé et les yeux ont perdu leur incrustation ; la longue barbe qui couvre les joues est divisée en mèches ondulées qui convergent et se terminent en deux boucles opposées sur la poitrine, en laissant de petits espaces ovales, à la mode de Mari.

Le petit fils de Lugalkisalsi — le roi d’Uruk dont la statue-clou pose un problème d’identification (ci-dessus, p. 78) — se présentait comme Lugaldalu, bien que ce qui reste de la partie inférieure du corps montre une jupe unie211 (Pl. 56). Alors que l’homme a dû vivre très proche de l’époque d’Akkad, sa statue garde une raideur archaïque. Les mains jointes sont traitées suivant l’enroulement de l’index gauche, comme au D.A. II, mais si les coudes sont pointus, les bras sont collés au corps. Les yeux et les sourcils étaient creusés pour l’incrustation et les lèvres en relief sont très légèrement relevées aux commissures. Les mamelons en incision circulaire et l’inscription datent la statue et sont un avertissement à traiter avec prudence les critères stylistiques.

Parallèlement aux souverains de basse Mésopotamie, dont les inscriptions étaient en langue sumérienne, les rois de Mari ont utilisé la langue akkadienne dont l’usage était également courant le long de la Diyala. Trois rois de Mari sont connus, peu différenciés physiquement de leurs sujets. Le plus ancien est sans doute Iku-Shamash, roi de Mari, prince suprême (ensi-gal) d’Enlil, qui a voué sa statue à Shamash. Cette statue acéphale, entrée au British Museum par acquisition, représente le roi assis sur un siège sans ornement, vêtu d’une épaisse jupe unie avec une bordure de mèches lancéolées, les deux mains jointes212 (Fig. 31). Il semble qu’il était barbu. L’inscription est gravée dans le dos.

31. Iku-Shamash, roi de Mari. Calcaire.

Avec le roi Iku-Shamagan, Mari a donné la plus grande statue de l’époque présargonique, puisque debout sur son socle, elle atteint 1 m,14 de haut (Pl. 57). Identifiée par un cartouche de sept cases gravées en haut du dos, elle était dédiée à la déesse Ninni-zaza dans son temple où elle a été retrouvée brisée en 45 morceaux213. Le roi, vêtu de la jupe de kaunakès à six volants, tient son poing gauche dans sa main droite aux doigts allongés horizontalement ; Les coudes, détachés du corps, sont pointus ; les épaules larges et le buste aux mamelons évidés sont sculptés avec une certaine souplesse. La longue barbe part devant les oreilles et descend en arrondi sous la lèvre inférieure ; faite de six longues mèches verticales ondulées, elle se termine en carré sur la poitrine par des bouclettes. Des trous perforés à la bouterolle sont harmonieusement disposés en chapelet vertical, procédé typique à Mari (Ebih-il, Nani, IdiNârum) où l’incrustation de bitume ou de lapis-lazuli a rarement été conservée214, mais que l’on retrouve aussi à Khafadje215 et chez le pseudo-Lugalkisalsi d’Uruk216. Le crâne est rasé, le cou bien proportionné, avec trois rainures parallèles au bas de l’occiput allant d’une oreille à l’autre, formant deux bourrelets de chair qui sont peut-être un signe d’âge217. Ce détail d’anatomie n’est pas unique à Mari218, mais un seul bourrelet est généralement marqué et on le trouve également rendu sur une tête en calcaire de Khafadje219. L’incrustation des yeux avait disparu, mais l’incision en double arc des sourcils était encore incrustée de stéatite striée en arêtes de poisson dont une autre tête du temple de Ninni-zaza donne un exemple en lapis-lazuli220. Par son aspect et son attitude221, le roi de Mari est proche d’Entemena de Lagash ou de Lugaldalu d’Adab.

Très différent par contre est le roi Lamgi-Mari222 dont la découverte, lors de la première campagne, le 23 janvier 1934 dans le temple d’Ishtar, identifia par son inscription le site de Tell Hariri comme l’antique Mari223. Le haut du bras droit et l’omoplate portent en effet huit colonnes de signes qui donnent le nom et le titre royal de l’homme qui voua sa statue à la déesse Ishtar224. De petite taille — moins de 30 cm — Lamgi-Mari est en marche, le pied gauche en avant sur un socle rectangulaire. Les pieds nus massifs sont mal dégrossis pour assurer la solidité, car il n’y a pas de contrefort, mais les orteils aux ongles indiqués sont bien séparés. Les bras sont serrés le long du corps, avec le coude droit nu détaché et peu pointu. Les mains se rejoignent en un geste nouveau de la main gauche enserrant par en dessous le poignet droit prolongé par la main refermée. Comme chez Meskigal, le vêtement de kaunakès n’est pas limité à la jupe, mais il couvre l’épaule et tout le bras gauches, enfermant complètement l’avant-bras. Le pan traditionnel de la ceinture est particulièrement volumineux presque au milieu du dos, formant une « tournure » particulièrement disgracieuse. L’hypothèse d’André Parrot selon laquelle il s’agirait de la queue de la bête, « rappel du temps où l’on s’habillait avec la peau complète d’un animal écorché »225, est une explication très plausible qui trouve là son plus bel exemple. Le côté droit du buste, resté nu, est bien modelé avec le pectoral légèrement saillant, mais le mamelon n’est pas indiqué. Le visage du roi n’est pas moins différent de celui des autres statues présargoniques. La mutilation profonde du nez et de la bouche n’en a pas altéré les traits principaux : pommettes saillantes, yeux sculptés légèrement bombés226, arcades sourcilières très naturelles encadrant la racine du nez au lieu de se rejoindre. La barbe part des tempes en avant des oreilles, couvre la plus grande partie des joues, forme un arrondi sous la lèvre inférieure et tombe en mèches légèrement ondulées jusqu’à la hauteur des mains. Elle n’a pas l’aspect soigné auquel nous ont habitués les statues de Mari. Les oreilles sont démesurées, recouvrant une partie de la coiffure aux cheveux séparés par une raie au milieu, se terminant en deux rangs de boucles sur la nuque et maintenus par un bandeau tressé ; un chignon, postiche ou non, est enserré dans une résille affermie en son milieu par un double lien horizontal. Cette coiffure est très exactement celle du casque en or de la tombe du roi Meskalamdug à Ur227. C’est une coiffure royale et sans doute portée par le souverain lors de ses campagnes militaires, si l’on en juge par le personnage d’Eannatum de Lagash, coiffé d’un couvre-chef analogue à la tête de son armée, sur la stèle des Vautours228. Que ce soit une coiffure amovible se déduit de la plaque généalogique A d’Ur-Nanshe229 où le fils aîné du roi, Akurgal, derrière sa mère au registre supérieur, porte une coiffure à chignon serré au milieu par le bandeau qui fait le tour de la tête, alors que sur les bas-reliefs B, C et D, le prince a le crâne rasé comme tous les autres participants230.

Une petite tête en lapis-lazuli, de facture à peu près identique, appartient à une collection particulière suisse231 (Fig. 32).

32. Tête masculine. Lapis-lazuli.

Elle s’en distingue par le caractère soigné de la barbe aux mèches ondulées séparées par des chapelets de trous et par la petitesse du chignon où deux perforations horizontales s’expliqueraient, d’après Mme Moortgat par un revêtement d’or. Mais le plus proche parallèle de la statuette de Lamgi-Mari est celle d’un porteur de chevreau de Suse232 (Pl. 58). Il porte la même coiffure à bandeau torsadé. Malgré la disparition du chignon, la ressemblance avec le casque de Meskalamdug est frappante. La barbe est plus courte à cause de l’animal que le personnage tient sur sa poitrine et dont la toison est stylisée exactement comme celle de la robe de kaunakès qui couvre l’épaule gauche en cinq volants au lieu de quatre chez Lamgi-Mari, mais qui enveloppe de même façon son avant-bras. La robe de kaunakès portée par un homme à cette époque est très probablement un vêtement royal233 et nous avons certainement là le portrait d’un souverain de Suse, à peu près contemporain de Lamgi-Mari. En l’absence d’une liste dynastique des rois de Mari, l’ordre de succession n’est pas connu, mais Lamgi-Mari, en raison de son costume doit avoir régné à la fin de l’époque présargonique, ou au tout début de l’empire d’Akkad, ce que corrobore la comparaison avec la statue de Meskigal (ci-dessus, p. 85). Son inscription en langue akkadienne, comme toutes celles de Mari et la plupart de celles de la Diyala, utilise pour le signe de la statue (DÙL = ṣlam) une forme particulière dont Thureau-Dangin, lors de la publication, avait noté qu’elle apparaissait concurremment avec la forme commune sur la copie d’une inscription de Naram-Sin retrouvée à Ur234. De fait l’usage du « casque » s’est poursuivi jusqu’à l’époque d’Akkad puisque la magnifique tête en métal de Ninive en est coiffée (ci-dessous, p. 147)235.

En raison de son couvre-chef en forme de béret, H. Frankfort considérait également comme un souverain une statue en pierre noire du temple IX de Sin à Khafadje236. Il est possible en effet que le béret, très rare à cette époque, soit l’apanage des rois. Celui-ci se présentait en prière, vêtu d’une jupe terminée en frange laineuse, ceinte d’un bourrelet. La barbe longue et unie couvrait largement les joues. Les yeux étaient incrustés de coquille, les sourcils ne se rejoignent pas. La matière et l’aspect particulier de cette statue la mettent à part dans la production de la Diyala. Il s’agit peut-être d’un roi étranger, vassal de la ville. La jupe en tronc de cône et l’évidement entre le buste et le corps indiquent le passage du D.A. II au D.A. III, époque que l’on peut attribuer à une statuette en albâtre translucide trouvée dans le palais en briques plano-convexes d’Eridu237. Un orant debout est vêtu d’une longue jupe unie jusqu’à terre, s’évasant en tronc de cône. Les mains se joignent sur le bas du buste nu. La tête est de même largeur que le cou, le visage est glabre, les yeux sont incrustés de coquille et de lapis-lazuli, les sourcils forment une ligne ondulée continue. Un couvre-chef en pain de sucre prolonge la tête sans solution de continuité. S’agit-il d’un prêtre ou d’un roi ? Il est bien difficile de trancher.

3) Fidèles
a) Les hommes

La station debout présente souvent maintenant l’attitude de la marche, le pied gauche en avant, en contraste avec l’aspect statique du D.A. II. L’homme peut aussi être assis sur un tabouret ou sur un coussin, à « l’orientale », jambes croisées.

Le costume masculin de rigueur reste la jupe, unie avec un volant de toison laineuse dans le bas, ou surtout à plusieurs volants superposés, pouvant aller de trois238 à sept rangs239. Que la ceinture soit indiquée ou non, il y a toujours le pan plus ou moins volumineux qui retombe du côté gauche par-derrière formant « tournure », ce qu’André Parrot appelle le « nœud de jupon » en signalant qu’il avait parfois été « taillé à part et inséré ensuite grâce à une mortaise dans le corps de la statuette »240. Le torse est nu et les bras sont presque toujours collés au corps. Les mamelons sont en relief ou évidés pour une incrustation.

Plusieurs types de coiffures sont adoptés :

1/a) Les cheveux longs séparés sur la nuque en deux mèches ramenées sur la poitrine, encadrant ou non la barbe, ont dû continuer à être portés au début du D.A. III, car plusieurs statues de Khafadje, trouvées dans le temple ovale II/III ou dans le temple IX de Sin se présentent ainsi241 de même qu’à Nippur dans le temple VII d’Inanna242.

b) Si la mode des cheveux longs ne disparaît pas pour les hommes, elle se modifie, réservée peut-être à certaines fonctions, ce qui expliquerait sa rareté relative. En effet les cheveux longs n’encadrent plus le visage et, partagés par une raie au milieu, ils dégagent les oreilles qu’ils contournent et tombent en nappe rectangulaire bien coiffée dans le dos. La statue-clou au nom de Lugalkisalsi et les bustes du même type (ci-dessus, p. 78 s.) illustrent bien ce type de coiffure dont on connaît par ailleurs des exemples sur des statues acéphales, tel un petit buste d’orant, trouvé à Tello par E. de Sarzec243, où les cheveux sont séparés en mèches parallèles et coupés en carré dans le dos peu au-dessus de la ceinture en bourrelet (Pl. 59 a-b). Il en est de même pour une statuette mutilée du temple G d’Ishtar à Assur244 et pour un orant de Mari en jupe de kaunakès245 dont les cheveux ondulés sont réunis en une masse rectangulaire stricte, divisée par une raie au milieu.

La statuette d’Ur-Nanshe de Mari en fournit un autre exemple246. Trouvée en 1952 par A. Parrot dans le temple de Ninni-zaza247, elle représente un LUL.MAḪ, « grand chantre » sous le règne du roi de Mari, Iblul-Il, qui ne figure sur aucune liste royale248. Ce personnage assis, les jambes croisées, sur un coussin rond en vannerie (Pl. 60), a déjà fait couler beaucoup d’encre. Vingt ans après sa découverte et après en avoir expliqué longuement les raisons dans la publication du temple de Ninnizaza en 1967, le fouilleur y voit toujours une femme249. Entre temps, E. Sollberger, traitant du problème philologique, a exposé pourquoi l’inscription « ne peut s’appliquer qu’à un homme »250. Il faut reconnaître qu’à l’époque présargonique, les seuls traits du visage ne permettent pas de différencier un homme d’une femme. La coiffure n’est pas toujours déterminante et certaines statues ont ainsi oscillé d’un sexe à l’autre. Une statue de Khafadje offre un exemple typique de cette équivoque : un orant rasé et imberbe a été ramassé en morceaux dans le temple VI de Nintu251. Or lorsque le buste a été publié pour la première fois, tel qu’il avait été trouvé, c’est-àdire avant nettoyage252, les concrétions sur le crâne donnaient un aspect absolument féminin, en tenant lieu de coiffure (Pl. 61a) : une fois débarrassé de ces impuretés, l’homme au crâne rasé est apparu sans qu’il subsiste la moindre hésitation. Le vêtement peut parfois emporter la décision, mais il faut avouer que dans le cas d’UrNanshe, son originalité même ne facilite pas l’identification. En dépit de l’ambiguïté, quelques raisons nous semblent militer en faveur de la statue d’un musicien, comme nous l’avons déjà écrit253.

Le visage est jeune, avec les joues pleines, la bouche mince aux commissures légèrement relevées en accent circonflexe retourné, les yeux incrustés de coquille et de lapis-lazuli, les sourcils évidés se joignant à la racine du nez dont l’arête a été éraflée. Le front est bas ; les cheveux partent latéralement d’une raie au milieu, strictement tirés sans aucune ondulation et contournant les oreilles en réservant une courte mèche bouclée sur les tempes. La chevelure massée dans le dos est bien lissée jusqu’au bas du cou qui coïncide exactement avec la cassure, ce qui a fait contester le raccord de la tête au corps, car juste sous cette cassure part une chevelure ondulée en huit mèches qui se terminent chacune par une bouclette, exactement comme le buste acéphale inscrit au même nom254. A. Parrot a confirmé l’adaptation parfaite de la tête sur le corps255 et de fait le buste de Warka du pseudo-Lugalkisalsi (ci-dessus, p. 79) montre bien que les sculpteurs présargoniques pouvaient ainsi modifier le traitement des cheveux dans le dos. Cette mode des cheveux longs dégageant les oreilles pour les hommes de Mari est illustrée par les plaques de coquille gravées : plusieurs exemples de personnage au buste nu, vêtu d’une jupe qui peut être volumineuse, présentent en profil la même coiffure, évidée pour une incrustation de bitume256, jouant le même rôle que la teinture noire encore visible sur la chevelure d’UrNanshe. On peut évidemment rétorquer qu’il s’agit également de femmes, mais nous continuons à penser que la jupe est réservée à l’homme à l’époque présargonique, y compris dans les rares scènes de libation où l’officiant est ainsi vêtu257. Nous ne croyons pas au « corsage ‘mouillé’ »258 recouvrant le buste d’Ur-Nanshe qui semble bien nu, avec des pectoraux plats, bien que saillants, où les mamelons ne sont que suggérés. Le léger ressaut en V ouvert du décolleté, marqué seulement devant, n’est pas un bord de vêtement, mais un détail d’anatomie correspondant aux clavicules259, indiqué plus nettement encore sur une autre statuette du temple de Ninni-zaza datée du règne d’lblul-Il, où les mamelons sont évidés pour une incrustation260 et sur la plaque de Tello au nom de Dudu, grand prêtre de Ningirsu261. Il figure également sur deux petits bronzes syriens du Louvre représentant un homme et une femme259. L’homme se présente debout, pieds alignés sur une petite plaque carrée262 (Pl. 62). Il ramène le bras gauche sur la poitrine et devait tenir un objet dans la main droite tendue en avant. Il est vêtu d’une jupe épaisse jusqu’aux mollets, serrée par une ceinture en bourrelet et son buste est nu, marqué uniquement devant par le ressaut en V ouvert. Le visage aux yeux en relief, au nez fort, à la bouche fine, montre un front bas limité par des cheveux lissés de part et d’autre d’une raie au milieu, contournant les oreilles par derrière et tombant en nappe rectangulaire striée à la hauteur des omoplates. Les oreilles, comme celles de la femme sont grandes et décollées. Il y a une ressemblance certaine entre ce petit bronze et Ur-Nanshe et leur distance dans l’espace comme dans le temps ne doit pas être grande.

La culotte courte et bouffante d’Ur-Nanshe de Mari n’a pas de parallèles jusqu’à présent. Ornée de toison de kaunakès sur le devant et autour des cuisses, elle comporte la queue volumineuse, terminée par une longue frange presque au milieu du dos. La position assise sur un coussin bas strié en arêtes de poisson nécessite le mouvement des genoux relevés et des jambes croisées. Le modelé en est bien rendu, mais les chevilles sont malheureusement cassées comme les bras qui devaient être ramenés sur la poitrine, ainsi qu’en témoigne l’arrachement de la pierre au milieu du buste. Une très petite statuette de Tell Asmar, acéphale et mutilée263 a déjà été rapprochée par Anton Moortgat pour son attitude des jambes croisées264 (Fig. 33) : le personnage, vêtu d’une jupe bouffante unie à bordure frangée, serrée à la taille par un fort bourrelet dont l’extrémité retombe sur la hanche gauche, est assis sur un siège bas fait de fascines de bois ou de roseau serrées par deux doubles liens.

33. Tell Asmar. Homme assis, jambes croisées. Calcaire.

Ur-Nanshe est évidemment l’œuvre d’un sculpteur plus éminent et les statues viriles assises aux jambes maladroitement croisées telles que celle, plus ancienne, du temple V de Nintu à Khafadje (D.A. II)265 ou de la Glyptothèque Ny Carlsberg à Copenhague266, ne sont à côté que grossières caricatures (ci-dessous, p. 107).

Ces comparaisons avec des représentations masculines sont bien en faveur d’un Ur-Nanshe « grand chanteur » ou « grand musicien », mais il faut encore ajouter un fait, noté par A. Parrot lui-même267 : la statuette et le buste d’Ur-Nanshe avec l’amorce d’un instrument de musique268 porteraient les seules inscriptions du nom d’une femme à Mari. En fait, dans l’état actuel de nos connaissances, les statuettes féminines présargoniques sont très rarement inscrites. Les seules exceptions sont jusqu’à présent la statue de Kish (ci-dessus, p. 67) et un fragment de torse au nom de « Cerne-Bau, fille d’Enentarzi, prêtre de Ningirsu » peu avant le règne de Lugalanda, vers 2360269.

Les cheveux séparés par une raie au milieu et tirés derrière les oreilles pour être ramenés en deux masses par devant sont aussi illustrés à Mari par une tête270 et par une statue du temple de Ninni-zaza271. De la première, A. Parrot a pensé qu’elle pouvait représenter Ur-Nina (Ur-Nanshe) vieillie et il est certain qu’il y a un grand air de parenté, bien que les yeux soient sculptés et non incrustés. Précisément nous inclinons à considérer cette tête comme masculine, de même que la statue « à coiffure égyptisante », tout à fait semblable et taillée dans la même brèche rosée (Pl. 63). Pour la statue, le fouilleur en a envisagé l’hypothèse, mais par comparaison avec la tête, il a préféré garder à toutes deux le sexe féminin. Deux critères militent pourtant en faveur de l’identification virile : 1) le fait que les pieds soient décalés dans l’attitude de la marche272, réservée aux hommes présargoniques à Mari ; 2) le costume qui consiste en une jupe volumineuse à un seul rang de kaunakès formant un parallélépipède oblique aux angles arrondis fait de quatre pans dont ceux d’avant et d’arrière recouvrent les deux latéraux. Ce vêtement est porté à Mari par des porte-enseigne en relief273 (Fig. 34), à Nippur par un orant274 et à Kish sur des fragments de coquille275.

34. Mari. Porte-enseigne. Calcaire.

C’est aussi une jupe de ce genre que porte un orant barbu de Khafadje qui se rattache au style du D.A. II276. La statue « à coiffure égyptisante » du temple de Ninni-zaza a donc toutes chances d’être celle d’un homme et sans doute d’un personnage important, puisque son socle est creusé, en avant des pieds, d’une cupule de 4,4 cm de diamètre sur 2,2 cm de profondeur, percée d’un trou à la base pour l’évacuation d’un liquide. Les offrandes aux statues du D.A. III sont attestées dans les textes277, mais ce dispositif destiné à la libation n’était pas connu encore.

b) Au lieu de tomber librement dans le dos, les cheveux lisses, séparés par une raie au milieu, peuvent être noués en chignon, laissant quelques boucles sur la nuque, coiffure qui a inspiré la coiffe de Meskalamdug et de Lamgi-Mari. Il est porté par un homme imberbe à la jupe de kaunakès qui fait l’offrande du chevreau278.

2/) La très grande majorité des hommes du D.A. III a le crâne rasé, mais quelques-uns ont gardé le port de la barbe, mode surtout répandue à Mari, comme en témoigne le roi Iku-Shamagan.

a) L’exemple le plus parfait, comme le plus complet, est certainement l’intendant Ebiḫ-Il de Mari (Pl. 64). Le portrait de l’homme assis est d’un réalisme étonnant, avec les grands yeux incrustés de coquille et de lapis-lazuli, le nez fort et légèrement aquilin, la bouche fermée sur un imperceptible sourire279. La barbe courte et calamistrée en mèches terminées par une bouclette prend naissance devant les oreilles et s’incurve pour libérer largement la lèvre inférieure. Comme dans la barbe d’Iku-Shamagan, des trous sont ménagés pour des incrustations disparues. Le cou est épais, mais les épaules, le dos et la poitrine nus sont parfaitement modelés, ainsi que les mains serrées l’une dans l’autre sur la poitrine. Les coudes sont modérément pointus. Très naturelle aussi est la jupe en toison qui échappe au procédé des volants et dont les languettes de poils se superposent, serrées à la taille par des lanières qui coulissent dans la toison et la froncent pour ressortir dans le dos en une épaisse queue.

Le réalisme du tabouret en vannerie est tout aussi évident. C.J. Gadda proposé d’y voir un kuruppu, corbeille en vannerie renversée280, ce qui n’a pas convaincu le fouilleur de Mari281, car il s’agit véritablement d’un siège solide. Nous retrouvons peut-être des équivalents sur une scène de laiterie d’un cylindre de Tello de l’époque d’Akkad282 où deux personnages du registre supérieur, de part et d’autre d’une grosse jarre, sont assis sur des tabourets faits de parallèles horizontales superposées qui donnent l’impression d’être circulaires. Déjà le coussin d’Ur-Nanshe, le musicien, semblait fait de roseaux tressés, comme le siège de la statue aux jambes croisées de Tell Asmar (ci-dessus, p. 95).

À côté d’Ebiḫ-Il, et proche de lui, d’éminentes personnalités ont voué nominalement leur statue dans les temples : à Ninni-zaza, « Salim, frère aîné du roi »283, debout en jupe de kaunakès à six volants comme Nani284 ou Meshgirru, dont manque le bas du corps285 et à Ishtar, Idi-Nârum dont ne subsiste que la tête et le buste nu aux mains jointes brisées286. Toute une foule d’anonymes se pressait aussi dans les temples, dont cet étonnant personnage baptisé « le Bédouin » par le fouilleur, à cause de ses traits accentués, de ses yeux sculptés, de sa barbe ondulée et non plus calamistrée, teintée de noir, tandis que le buste portait encore des traces de peinture rouge287 ou ce buste d’« adorant grimaçant » à la longue barbe en chevrons, aux sourcils en accent circonflexe incrustés de matière blanche288 qui indique peut-être un vieillard. Une très belle tête en gypse à la barbe calamistrée, analogue à celle d’Ebiḫ-Il289 avait conservé l’incrustation de lapis-lazuli des sourcils, traités en arête de poisson comme aux époques d’Akkad et néo-sumérienne, particularité que l’on trouve aussi sur un orant imberbe du même temple de Ninni-zaza290 et sur la statue du roi Iku-Shamagan (ci-dessus, p. 88). Plus d’une quarantaine d’inconnus du même type barbu apportaient ainsi leur prière dans les temples de Mari, dont parfois ne subsistait que des débris291.

Cette mode ne semble pas avoir atteint le sud de la Mésopotamie, mais elle est attestée à Khafadje et à Assur. Une très petite tête en albâtre aux yeux sobrement sculptés, porte ainsi un court collier de barbe. Cassée dans l’antiquité, elle avait été réparée au bitume dont il reste un grand morceau à la naissance du cou292. Cette tête avait été cachée dans l’autel du temple VI de Nintu à Khafadje, en même temps que deux têtes féminines dont l’une portait de même des restes de réparation de bitume au cou293. C’est un homme âgé que paraît représenter une statue du temple IX de Sin294 (Fig. 35). Ceci est visible surtout dans le modelé des pommettes qui ménagent des poches sous les yeux et dans la bouche serrée qui est celle d’un édenté. Yeux et sourcils sont vidés de leur incrustation. La barbe, cassée du côté droit, est striée en arêtes de poisson. Les bras sont cassés à l’épaule, mais l’arrachement de la pierre au milieu de la poitrine indique l’attitude des mains jointes. Les pectoraux sont puissants. La jupe de kaunakès à quatre volants n’est pas traitée avec grand soin.

35. Khafadje. Homme âgé. Albâtre.

Les pieds et le socle bas à contrefort arrière avaient été volés sur le chantier et ont été achetés ensuite. Malgré son piteux état, cette statue est intéressante à plus d’un titre. Elle illustre un procédé de fabrication sur lequel nous reviendrons (ci-dessous, p. 128), qui consistait à sculpter séparément la tête avec un tenon sous le cou, et le corps était creusé d’un trou entre les épaules pour recevoir le tenon, scellé avec du bitume295. Cela n’a pas empêché une première décapitation puisqu’une réparation a nécessité la perforation d’un trou plus petit en avant du premier dans le corps et en avant du tenon dans la tête, caché par la barbe. Un autre trou dans le dos de la jupe296 indique probablement que la statue était fixée au mur.

Un personnage tout aussi important, à Assur, lui a valu le nom de « Konsistorialrat » (le conseiller du consistoire) par les archéologues allemands ! Il a en effet fière allure, malgré la disparition des yeux, avec son crâne rasé et sa barbe finement bouclée297 (Pl. 65). La jupe de kaunakès est à six volants, avec la queue volumineuse. Les mains sont réunies sur la poitrine, l’une dans l’autre, entre les pectoraux dont les mamelons sont évidés. Dans le dos, un sillon est tracé entre les omoplates jusqu’à la jupe, comme cela se faisait au D.A. II, mais le buste est rendu ici avec naturel et cil y a une grande analogie entre l’homme d’Assur et le vieillard de Khafadje.

a) La très grande majorité des statu s viriles du D.A. III présente des hommes imberbes avec le crâne rasé et cette fois également en basse Mésopotamie. Quelques beaux exemples proviennent de Tello, de Nippur, de Khafadje, de Mari.

Une statue en albâtre de Tello représente un homme jeune debout sur un socle carré, les pieds dans le même alignement, adossés au montant habituel298 (Pl. 66 a-b). Sa jupe jusqu’aux chevilles est unie, mais épaisse, avec le pan volumineux sur la hanche gauche et l’on peut penser que la toison est portée à l’intérieur. Il tient ses mains l’une dans l’autre ; les coudes sont pointus, mais les bras sont finement sculptés, rendant bien la musculature. La tête et le cou ont une bonne proportion, les yeux sont sculptés, le nez droit est dans le prolongement du front, la bouche est fine et les oreilles sont bien attachées. Une autre statue de Tello à Istanbul, plus petite et de moins bonne qualité, en est très proche, avec la différence de la jupe de kaunakès à quatre volants299.

Si Uruk s’est révélé aussi pauvre en documents présargoniques, c’est sans doute à cause de sévères destructions consécutives aux conquêtes de Lugalzagesi d’Umma, puis de Sargon d’Akkad et aussi à la suite de travaux sur l’Eanna entrepris par les souverains de la IIIe dynastie d’Ur. Sept stades du niveau I correspondant au Dynastique Archaïque ont pourtant été repérés par les fouilleurs allemands300. Les épaves sculptées, retrouvées hors de leur contexte, sont deux petites têtes d’homme rasé et imberbe, l’une aux orbites encore partiellement remplies de bitume et aux oreilles faites d’un bourrelet incurvé, l’autre aux yeux sculptés, aux lèvres épaisses grimaçantes301, et un fragment de torse viril gravé dans le dos d’une inscription de 11 cases portant la dédicace d’un certain Adingirmu à Ninshubur, qu’Adam Falkenstein datait du temps de Lugalkinishedudu d’Uruk, contemporain d’Entemena302.

Très caractéristiques u style « souriant » du D.A. III sont deux têtes du temple d’Inanna à Nippur303 (Fig. 36).

36. Nippur. Tête masculine. Gypse.

Les yeux enchâssés de coquille et de lapis-lazuli, les sourcils évidés en double arc reliés à la naissance du nez, la bouche aux commissures relevées donnent une expression particulièrement vivante à la physionomie et l’on est loin de l’effet caricatural que produit une statuette du Louvre304 où un orant trapu, en jupe de kaunakès à trois rangs, un œil en coquille encore incrusté, la bouche aux commissures relevées, les oreilles énormes reliées par un pli graisseux sur la nuque, est l’œuvre d’un sculpteur malhabile, ce qui est surtout flagrant pour les mains jointes et les pieds.

C’est à Khafadje que l’on trouve le plus d’hommes rasés, qu’ils soient jeunes305, dans la force de l’âge306 ou vieux307. Parmi ces derniers, Ur-Kisal, prêtre de Sin, est un homme âgé au corps massif rendu avec sensibilité308. Les bras sont cassés, le visage est défiguré, mais il en reste assez pour évoquer un personnage plein de sagesse. Les yeux sont sculptés, ce qui reste relativement rare. L’épaisse jupe unie à grosse ceinture en bourrelet, dont le pan frangé retombe sur la hanche gauche, descend jusqu’aux chevilles terminée par une rangée de kaunakès. Comme l’a montré A. Moortgat309, le profil incurvé de la statue rappelle celui de la statue acéphale d’Assur qui portait des cheveux longs (ci-dessus, p. 92, n. 244). C’est une des rares statues inscrites de la Diyala, ce qui souligne l’importance de la personne310. Les têtes rasées ne sont pas interchangeables, elles sont même assez différenciées et pas seulement par les yeux incrustés ou sculptés. Certes deux têtes du temple de Sin, au niveau VIII et au niveau IX ont absolument la même facture311 et pourraient être l’œuvre d’un même artisan. De même une tête aux yeux sculptés découverte récemment à Larsa312 ressemble à une tête du temple ovale I, également en pierre verte313 et à une tête de la mission Sarzec à Tello314. Mais il n’est pas possible de confondre par exemple le buste no  38 du temple IX de Sin315 avec son gros nez, ses bourrelets sur la nuque et sous le menton (ainsi qu’aux aisselles), et la tête en calcaire du temple VII de Nintu no  161316, avec son nez droit dans le prolongement du front, ses yeux sculptés et ses grandes oreilles (Fig. 37 b). Les profils de cette tête ressemblent étonnamment à ceux des prisonniers réunis dans le filet d’Eannatum, roi de Lagash, sur la stèle des Vautours317 (Fig. 37 a).

37a. Tello. Tête de prisonnier de la stèle des Vautours.

37b. Khafadje. Tête masculine. Calcaire.

Un fragment de buste à la face violemment martelée permet tout au plus de dire qu’à Assur, le niveau G du temple d’Ishtar contenait au moins un homme entièrement rasé318, aux orbites évidées, tandis que Mari a fourni de beaux exemples d’orants rasés et imberbes, bien que le port de la barbe soit plus souvent attesté. Là aussi les visages sont étonnamment individualisés et particulièrement souriants. Le plus grand spécimen est la statue d’un haut fonctionnaire, inscrite au nom d’lpumsar319. Ce « grand scribe » (dupsar maḫ) est l’un des personnages les plus importants du temple, le chef des scribes320, ce qui lui a permis de faire appel à un habile sculpteur et de choisir une belle pierre. Sa haute taille était destinée à attirer les regards de la divinité qu’il priait, en l’occurrence Ninni-zaza, autant que des fidèles qui avaient accès au sanctuaire. Elle n’en a été que plus malmenée par les destructeurs. Son vêtement est la jupe de kaunakès à six rangs. Les pieds décalés pour la marche sont sculptés avec soin, comme les mains aux longs doigts de la main droite enserrant ceux de la main gauche repliés. Les épaules et les bras charnus, la poitrine aux mamelons évidés, sont ceux d’un homme plantureux, dans la force de l’âge. Les yeux et les sourcils sont vides de leur incrustation. Une statue anonyme d’une excellente qualité, mais plus petite de moitié, lui est très semblable321. À ces statues du temple de Ninni-zaza, il faut ajouter un buste et des têtes du temple d’Ishtar322. Parmi celles-ci, une petite tête juvénile est d’une excellente facture avec son nez fin très légèrement busqué, ses yeux sculptés, ses sourcils soulignés par un léger évidement, sa bouche aux lèvres minces esquissant un sourire, ses oreilles bien proportionnées323.

Un autre fonctionnaire, mais de provenance inconnue, est un scribe (dupsar) du nom de Dudu, représenté assis sur un siège cubique à redents, les pieds nus reposant sur une base rectangulaire haute de quelques centimètres324. Comme Ebiḫ-Il de Mari, il porte une épaisse jupe de kaunakès, mais stylisée à la manière habituelle en volants dont celle-ci comporte six rangs. Les mains sont réunies de la même façon, la droite renfermant la gauche. Les bras bien observés ont toujours les coudes assez pointus. La tête globuleuse est entièrement rasée, les yeux sont sculptés. Les lèvres sont horizontales, ce qui dénie un caractère souriant à la physionomie, mais non la sérénité. Cinq cases d’inscription sont gravées dans le dos à hauteur des omoplates325. La dédicace à Ningirsu fait penser qu’il s’agit d’un monument provenant de Lagash.

D’autres statues assises, parfois « à l’orientale » sur le sol, ou sur un coussin comme Ur-Nanshe de Mari, présentent des fonctionnaires au crâne rasé. Ainsi Lupad, au buste mutilé, couvert d’inscription326 (Pl. 67), est un « chef du cadastre (sag-tìm ou sag-tùn) d’Umma »327, la ville rivale de Lagash. Le fait qu’il mentionne des achats de terrain dans Lagash et que la statue ait été trouvée à Girsu (Tello) n’est pas sans étonner. Il faut supposer que ce fonctionnaire d’Umma a eu une activité dans la ville ennemie à une époque où Umma avait établi sa domination sur Lagash qui était ainsi une ville « occupée » par l’ennemi. Cet épisode peut avoir eu lieu, d’après les cônes d’Entemena, entre la mort d’Enannatum I sous les coups d’Ur-Lumma d’Umma et la victoire de son fils Entemena sur Il, le successeur d’Ur-Lumma328. Quoi qu’il en soit c’est un personnage adipeux qui est représenté : les plis graisseux du menton débordent sur la poitrine sans l’intermédiaire de cou. Les épaules sont massives et les bras sont à peine séparés du corps par un sillon. Les mains et le bas du corps ont disparu. C’est une des premières utilisations de la diorite en ronde-bosse, qui doit être à peu près contemporaine de la statue royale d’Entemena (ci-dessus, p. 84) et qui dénote une grande maîtrise de la part du sculpteur. La bouche serrée donne une expression de détermination et de ruse.

Un peu plus récente, à la limite de la dynastie d’Akkad, doit être une autre statue en diorite, trouvée à Ur, acéphale et très détériorée329, inscrite au nom akkadien de Dada-ilum330. L’homme est accroupi et ses jambes ne sont pas visibles, recouvertes par la jupe unie. Les mains sont l’une dans l’autre, les épaules et les bras sont charnus, décollés du corps, et les coudes ne sont pas pointus comme le sont ceux de la statue accroupie trouvée à Obeid331 en même temps qu’un torse au nom d’Ékur (lu autrefois Kurlil)332. L’inscription de l’orant assis est détruite, il n’en reste que le signe É, ce qui a conduit les fouilleurs d’Obeid à penser qu’il s’agissait également d’Ékur. En réalité le torse inscrit est d’une facture plus ancienne : les épaules larges, les bras, cassés, détachés du buste étroit, le rattachent à la sculpture du D.A. II et a pu être réutilisé par Ékur qui l’aurait usurpé, comme l’a fait Eshpum de Suse (ci-dessus, p. 73), tandis que la statue accroupie est tout à fait caractéristique du D.A. III, avec son crâne rasé, sa bouche souriante, ses larges yeux sculptés. Une tête en dolérite, acquise par le Louvre, a été rapprochée par A. Parrot de la statue d’Obeid333. La morphologie du visage, avec son front fuyant et court est en effet très semblable.

La qualité de la statue de la Ny Carlsberg Glyptotek à Copenhague est beaucoup plus discutable334 (Pl. 68). Le rapprochement avec la statue du temple VI de Nintu à Khafadje pour les jambes croisées est tout à fait probant335, bien que celle-ci appartienne sans conteste au D.A. II. La tête rasée de l’homme de Copenhague et sa bouche souriante le situent au D.A. III. La curieuse frange de sa jupe unie, partant d’une ligne festonnée, a des parallèles à Mari336.

b) Les femmes

L’absence presque totale d’inscription sur les statues féminines (ci-dessus, p. 96) empêche de déterminer si telle ou telle de celles qui nous sont parvenues sont royales. On sait en tout cas qu’il y avait à Lagash des statues de Barnamtara, femme de Lugalanda, et de Shag-Shag, femme d’Urukagina, à qui des offrandes étaient offertes de leur vivant337.

L’attitude des femmes est la même que celle des hommes, avec la différence que lorsqu’elles sont debout, les deux pieds sont dans le même alignement. Lorsqu’elles n’ont pas les mains jointes l’une dans l’autre, elles tiennent un rameau et une coupe. Le visage est généralement souriant avec des lèvres bien ourlées aux commissures relevées. Les yeux sont soit incrustés, soit sculptés. Le front est bas et les cheveux rejoignent presque les sourcils.

La robe unie ou terminée par un rang de kaunakès est encore portée, en particulier à Assur et à Mari, mais le kaunakès à plusieurs rangs est presque toujours la règle, dégageant l’épaule droite. Il ne semble pas que le nombre de volants soit subordonné à un ordre hiérarchique, bien que les statues les plus soignées en comptent parfois davantage. Nous avons signalé l’apparition de trois volants au D.A. II sur une statuette acéphale du temple VI de Nintu à Khafadje (ci-dessus, p. 68). Il faut noter aussi quelques statuettes de femme nue en ivoire et en bois.

L’arrangement des cheveux longs nattés en auréole autour de la tête existe toujours338, mais l’usage d’un turban en tissu, parfois fort volumineux, se généralise et simultanément est adopté un bandeau plat ou un ruban placé bas sur les cheveux qui couvrent le front en frange. Ce même bandeau maintient en place le polos dans la vallée du moyen Euphrate.

Curieusement, les parures sont à peu près inexistantes : ni collier, ni bracelet et rarement des pendants d’oreille, ce qui se concevait pour la phase austère, mais s’explique moins bien avec le caractère souriant de la phase III, d’autant plus que les tombes royales d’Ur et quelques tombes à Kish et à Mari ont livré une riche joaillerie présargonique339. La seule explication est que ces parures, au lieu d’être sculptées en pierre, étaient de vrais bijoux qui ont disparu.

La plus grande statue féminine en kaunakès a été trouvée dans le temple d’Ishtar à Assur, au niveau G340 (Pl. 69). Haute de 63 cm, elle offre le portrait typique d’une orante de l’époque aux mains jointes. Les volants de toison vont en diminuant de hauteur vers le haut et il n’y en a pas moins de onze, depuis l’épaule jusqu’aux chevilles. Les pieds, cassés, étaient accotés à un montant qui sert d’intermédiaire entre le bas de la robe par-derrière et le socle rectangulaire dont la partie antérieure manque. L’épaule, le bras et le sein droits sont nus, mais une partie du bras et le coude ont disparu. Les mains sont toutes petites. Le visage est très abîmé et les incrustations des yeux ne sont pas conservées. La coiffure forme un bloc massif vers l’arrière et consiste en un turban de tissu drapé enveloppant les cheveux longs, séparés par une raie au milieu et relevés sur la nuque341. Une statue analogue du même niveau est très mutilée342. Le plus proche parallèle provient du temple VII de Nintu à Khafadje343 où la robe comprend six rangs de kaunakès de hauteur égale (Pl. 70). Le turban forme une masse volumineuse à sillons entrecroisés dont on trouve un équivalent exact sur une petite tête en coquille gravée de Mari344 où les incrustations de bitume soulignent bien que le turban couvre les cheveux dont il ne laisse passer qu’une mince ondulation. Le cou est orné d’un « collier de chien » à perles « lentiformes et l’oreille d’un anneau, ce qui confirme notre hypothèse des statues parées de vrais bijoux. Un seul exemple de collier enserrant le cou en anneaux superposés est visible sur une orante de Nippur et ceci parce que le visage et le cou étaient recouverts d’une feuille d’or appliquée sur une tête en bois tombée en poussière345 (Pl. 71). Il s’agit certainement d’une dame de haut rang social qui est vêtue de la longue robe de kaunakès. La coiffure a disparu, ainsi que les pieds et le socle.

Le savant arrangement du turban qui présente des bandes parallèles ménage souvent un triangle pointé vers l’arrière au sommet de la tête. Trois têtes d’Assur sont ainsi drapées346 et l’une d’elles (no  90) montre bien que le tissu est posé sur les cheveux coupés en frange sur le front, le long des joues et sur la nuque. Deux petites têtes du Louvre, de la collection Genouillac, présentent ce même arrangement347 (Fig. 38 a-b) et une troisième porte un volumineux turban, plus haut que large348.

38a-b. Tête féminine au turban (profil et vue du dessus). Calcaire.

Toutes trois proviennent probablement de la vallée de la Diyala où non seulement à Khafadje349, mais aussi à Tell Agrab, les femmes portaient le turban drapé. La très belle tête trouvée sur un autel du dernier état du temple de Shara donne toute l’importance aux côtés du visage, tandis que le sommet plat montre bien le dessin triangulaire350 (Pl. 72). Deux détails importants sont à signaler ; la perforation du lobe de l’oreille qui seul apparaît et qui devait s’orner d’anneaux d’or, comme le suggère Frankfort351 et le reste de bitume encadrant le visage sous le turban pour signaler les cheveux. Ces mêmes détails apparaissent sur une tête au turban du temple d’Ishtar à Mari352 où l’incrustation des cheveux est en lapis-lazuli enchâssé à l’aide de bitume. On peut donc se demander si le reste de bitume de la tête de Tell Agrab n’était pas également le support d’une incrustation de lapis-lazuli.

À côté du tissu qui pouvait être côtelé, mais qui se prêtait au drapé, les dames du D.A. III se servaient aussi de résilles à large réseau pour maintenir leurs longs cheveux. Comme nous avons déjà tenté de l’expliquer353, cette coiffure faisait appel à un support, planchette, épingle à large tête ou peigne fixé verticalement sur le dos de la tête par les cheveux remontés sur la nuque, puis enrobés dans la résille. Celle-ci revenait en avant sur les oreilles et se terminait en cordelette sur le haut de la tête, dégageant sur le front les cheveux coupés en frange, qui donnent une impression de ruché. Cette coiffure existait à Mari354, à Khafadje355, à Nippur356.

Un troisième type de coiffure existait sur le moyen Euphrate, illustré jusqu’à présent à Mari et à Terqa (Asharah)357. Il s’agit du polos, consistant dans « l’usage du support ou d’une carcasse rigide et creuse, vraisemblablement recouverte d’un tissu (Pl. 73). Cette carcasse, très volumineuse, en une pièce, emboîte la tête en la surélevant en forme de tiare évasée et arrondie vers le haut, et en l’élargissant sur la nuque et de part et d’autre de la figure. Ce couvre-nuque devait contenir les cheveux. La coiffe était sans doute toute préparée, mais faite de matériaux légers étant donné ses proportions. Elle était fixée sur la tête par un large bandeau horizontal qui passait sur le front, ne laissant apparents que très peu de cheveux. Ceux-ci encadrent généralement le visage et laissent passer le lobe de l’oreille, percé pour recevoir des pendants qui n’ont pas été retrouvés en place. Une coiffe seule de grande taille a été trouvée à Mari, qui comprenait les deux éléments essentiels : la tiare et le couvre-nuque, serrés par le bandeau »358. Dès notre étude sur la coiffure féminine, nous pensions qu’il ne s’agissait pas d’une coiffure divine et c’est en ce sens qu’a évolué également A. Parrot359. Nous écrivions alors : « Il peut s’agir d’une coiffe rituelle portée dans le sanctuaire à l’occasion de certaines cérémonies »360. Or des éléments de mosaïque de coquille, trouvés en 1961 dans le temple de Dagan ont entre autres le grand intérêt de silhouetter des femmes qui portent les trois types de coiffure que nous venons d’analyser : 1) le turban drapé, 2) la résille sur un support, 3) le polos361. On ne peut rêver meilleur synchronisme sur un panneau qui, de toute évidence, évoque une scène rituelle. Toutes ces femmes sont vêtues d’une robe unie effrangée de toison dans le bas, mais les deux épaules sont recouvertes d’une étole fermée devant par une longue épingle droite ou courbe ou par deux épingles croisées, requise sans doute pour la cérémonie.

À Mari apparaît la cape de kaunakès posée sur les épaules, ce qu’André Parrot a appelé la « chasuble-manteau »362. Cette cape s’enfilait par la tête, ce qui nécessitait un large décolleté arrondi363. Le nombre de volants varie entre quatre et neuf dont un ou deux recouvrant les épaules et la poitrine. Il s’échancre pour laisser passer les mains et les poignets et tombe verticalement bordé d’un galon strié de part et d’autre, laissant vide un large espace où apparaît la robe droite, presque toujours faite de rangs de kaunakès de même hauteur que la cape364. Dans un seul cas, la cape est portée sur une tunique unie365 et parfois la cape est elle-même unie366. La plupart de ces statuettes sont acéphales. Plusieurs cependant ont conservé leur tête et il se trouve qu’elle est coiffée du polos367. La statuette du Louvre, AO 18213, dont la tête a été curieusement retrouvée dans le palais du IIe millénaire appartient à l’importante série d’orantes tenant le rameau ou, comme ici, un régime de dattes de la main gauche, tandis que la main droite, cassée, devait présenter une coupe (Pl. 74). Le visage triangulaire, qui est souvent un trait de la figure féminine à Mari368, avec son menton pointu, sa bouche serrée, ses yeux sculptés, n’est pas particulièrement attrayant. Le siège est orné latéralement d’une patte et d’une queue de taureau, puis de deux colonnettes, à la manière des tabourets des convives de l’étendard d’Ur, où cependant la queue ne figure pas369 et dont un bel exemple est fourni par une statuette féminine acéphale de Tell Aswad, sur la rive gauche de l’Euphrate, en amont de Ramadi370. Là, le tabouret est décoré sur trois côtés de pattes et de queues de taureau alternées, quatre sur chaque face, mais alternées différemment dans le dos et sur les côtés. La femme joint les mains sur sa robe de kaunakès qui dégage l’épaule droite. Un trou de mortaise était creusé à la base du cou. Les pieds et l’avant du socle ont disparu.

À Mari, le polos est également porté avec la robe unie dégageant l’épaule droite, effrangée dans le bas, que la femme soit représentée debout ou assise371. Le volume de cette coiffure donne aux femmes un air solennel qui peut être encore renforcé par un dais de kaunakès enveloppant toute la silhouette assise372, à la manière de l’abayah des femmes au Proche-Orient (Pl. 75). Le haut du corps semble ainsi s’encadrer dans un naos. Le voile, qui tombe verticalement, dégageant complètement la robe de kaunakès sur le devant, est bordé à hauteur de la poitrine et jusqu’en bas, d’une large bande striée. Le vêtement est sans doute du type chasuble, car malgré la grande cassure du buste, le kaunakès est visible sur l’épaule droite. La dame est assise sur un tabouret cubique, orné sur trois faces d’un motif en forme de trois « bobines » juxtaposées laissant entre elles des creux losangiques, encadré en haut et en bas d’une bande en arêtes de poisson. Le même motif est visible sur le tabouret d’une silhouette d’homme assis en ivoire de Mari373 et nous l’avons déjà signalé à Kish et à Tell Agrab (ci-dessus, p. 67, n. 108). Celle qu’André Parrot avait appelée la « madone » de Mari374 a finalement été reconnue par lui comme une prêtresse375 qui avait voué sa statue dans l’exercice de sa fonction sacerdotale.

La parure qui accompagne presque toujours le port du polos et du turban est une paire d’anneaux d’oreilles, très visibles sur le panneau en mosaïque376. Ces anneaux qui devaient être en métal précieux, ont disparu sur les statues, mais des trous pour les passer subsistent et une grande tête au polos portait encore une boucle en coquille saillant au bas des cheveux pour recevoir l’anneau377 (Pl. 73). Sur une autre tête au polos, à hauteur des oreilles, trois trous à droite et deux à gauche étaient perforés de même que dans l’angle du nez et de l’œil gauche dont les incrustations ont disparu378. On peut alors songer à une feuille d’or qui aurait recouvert le visage comme sur la statuette de Nippur (ci-dessus, p. 109, n. 345). Ces parures témoignent sans nul doute de célébrations particulièrement importantes et il est normal que les femmes qui y prenaient une part active aient voulu en fixer le souvenir dans le sanctuaire. Une autre tête de femme au polos couvert du voile, mais uni, a été ramassée dans le temple de Ninni-zaza379. Cette coutume n’existait pas seulement à Mari, puisqu’une statue du musée de Bagdad, sans provenance connue, présente une femme assise sur un siège cubique orné de rangées de colonnettes, coiffée cette fois d’un turban recouvert du voile en kaunakès qui l’enveloppe de la tête aux pieds380. Le turban semble le même que celui d’une statue d’Assur, particulière à bien des égards381 : un court collet de toison couvre les épaules, prolongé par du tissu uni bordé devant par deux larges bandes verticales striées en oblique (Pl. 76). Cette cape, portée sur une tunique unie, est maintenue ouverte par les deux avant-bras projetés en avant et malheureusement cassés aux poignets. Les mains n’étaient donc pas jointes. D’autre part, le corps est taillé comme un pilier à quatre faces planes et arêtes arrondies, échancré au bas de la robe pour permettre de sculpter le bas des jambes et les pieds qui ont disparu. L’impression massive qui se dégage est renforcée par l’épaisseur du cou, aussi large que le visage aux yeux vides dont le nez et la bouche ont été martelés.

À Assur et le long de la Diyala comme à Mari, il y a donc presque toujours une recherche dans la coiffure, et cependant on y trouve épisodiquement les cheveux longs dans le dos. C’est ainsi qu’une statue féminine acéphale d’Assur, vêtue de la robe unie à un volant de kaunakès, porte une tresse unique épaisse qui tombe jusqu’au milieu du dos. Une tête en a été rapprochée par le fouilleur, W. Andrae, qui identifiait la statuette avec hésitation comme celle d’un homme382. Le visage est mutilé, les yeux incrustés et la base du nez ont été arrachés. Les cheveux partagés par une raie au milieu sont tirés strictement sur les tempes et maintenus par un bandeau qui passe au-dessus des oreilles pour se perdre ensuite dans les cheveux massés sur la nuque avant d’être tressés en une seule natte. Un autre cas de cheveux longs dans le dos existe à Mari avec une statuette acéphale d’une femme assise vêtue de la cape-chasuble383. Six mèches ondulées, terminées chacune par une boucle, forment une nappe rectangulaire jusqu’au bas du dos, à la manière d’Ur-Nanshe, mais cette fois le buste n’est pas nu. Une grande mutilation a privé l’objet de la tête, des mains et des jambes. Des statuettes assises de la fin du IIIe millénaire présenteront de grandes nappes de cheveux ondulés dans le dos, mais traitées différemment, par ondes parallèles horizontales, alors que le traitement présargonique est plat avec les ondulations en zig-zags.

Le sud de la Mésopotamie, dans l’état actuel de nos connaissances, semble avoir adopté cette coiffure plus naturelle. Tello en particulier a livré des statuettes féminines aux cheveux tombant dans le dos, maintenus sur le front par un ruban ou un bandeau plat. Une statuette au canon très court, rachetée par Ernest de Sarzec dans le village de Shatra, près de Tello (Pl. 77), malgré le martèlement du visage, est un bon exemple de l’orante en robe de kaunakès à quatre rangs, les mains jointes, les pieds nus sculptés dans l’évidement du socle384. Ses cheveux ondulés descendent bas dans le dos en une masse rectangulaire. Ils sont serrés sur le front par une lanière souple qui ceint la tête et se croise sur la nuque pour disparaître en descendant sous la masse des cheveux. Il est vraisemblable que cette lanière était fermée et que la forme de 8 qui lui est ainsi donnée était la meilleure façon de maintenir tout l’ensemble de la chevelure. Le même procédé est utilisé sur une tête de Tello aux yeux évidés, mais aux sourcils sculptés385 (Pl. 78 a-b). Le canon court caractérise également une statue acquise par le British Museum à la suite de fouilles clandestines à Tello, où la robe épaisse est entièrement unie386 (Pl. 79). Les traits du visage sont accentués, quoique souriants et le bandeau sur les cheveux longs est un simple cercle en cuir ou en métal. Un détail à noter est le léger bourrelet en forme de V ouvert en avant du cou, déjà signalé (ci-dessus, p. 94).

Le bandeau fermé sur des cheveux plus courts, massés sur la nuque, est visible sur la seule statuette trouvée dans le cimetière d’Ur, dans la tombe d’un soldat. La femme est en robe de kaunakès qui dégage non seulement l’épaule droite, mais aussi le haut de l’épaule gauche et ses mains sont jointes387 (Pl. 80). Les yeux étaient incrustés de coquille et de lapis-lazuli, les sourcils de pâte noire. Le bandeau placé bas sur le front était également incrusté de lapis-lazuli, posé horizontalement sur les cheveux peints en noir. Sir Leonard Woolley a signalé des traces de peinture rouge sur le visage et sur les mains. Cette statue est taillée dans deux blocs de pierre : l’un comprend le buste avec trois volants de kaunakès, l’autre, le bas de la robe constitué de deux volants, le bas des jambes et les pieds adossés au contrefort et le socle arrondi. Ces deux blocs étaient joints par un tenon et une mortaise. Le bloc du haut n’avait pas l’épaisseur suffisante au niveau de la tête et le dos de la coiffure est coupé net. Le fouilleur pensait que le complément avait été modelé en plâtre388. Etant donnée la couleur noire qui recouvrait les cheveux, on peut plutôt penser au bitume, matière utilisée de façon analogue à Eshnunna au D.A. II sur une petite tête féminine à la natte en auréole, où des morceaux de bitume encore collés à la pierre attestent que le dos de la tête avait été modelé en cette matière389. Il est hasardeux d’expliquer comment une statuette d’orante a été détournée de sa fonction, qui est la prière dans le temple, pour devenir la compagne d’un mort. On peut émettre l’hypothèse que par piété conjugale une épouse ait voulu ainsi faire reporter sur son époux la prière qu’elle adressait à telle divinité390.

Deux statues à la robe unie présentent le même genre de coiffure aux cheveux mi-longs : l’une du temple de Shara à Tell Agrab391, dont il manque le côté droit et la partie inférieure sous les mains jointes et une très belle statue en marbre blanc, acquise en 1924 par le British Museum392 (Pl. 81). Les cheveux maintenus par un étroit bandeau sont bouffants derrière les oreilles, réservant une mèche bouclée au dos de la tête, qui tombe dans le cou. Sur le front, la frange est traitée en feston comme le kaunakès. L’air souriant de la femme aux mains jointes est particulièrement souligné. Le nez fort est en prolongement direct du front, interrompu seulement par le sillon des sourcils, autrefois incrustés comme les yeux. L’épaisse matière unie de la robe se prolonge par un haut volant de kaunakès et le raccord est en feston, procédé déjà signalé pour la statue accroupie de la Glyptotek Ny Carlsberg de Copenhague (ci-dessus, p. 107).

Nous devons être là très près de l’empire d’Akkad et c’est à cette charnière que nous plaçons une petite tête polychrome du Louvre393 (Pl. 82) dont les cheveux sur le front sont stylisés comme le kaunakès et qui porte un chignon à deux coques enfermé dans un filet au quadrillage apparent, serré au milieu par le bandeau qui entoure la tête au-dessus de très grandes oreilles. Le nez, dans le prolongement du front, est aquilin. Les sourcils et les yeux sont creusés pour l’incrustation qui n’est préservée que dans l’œil gauche où la coquille enchâssée dans le bitume a pourtant perdu la pupille colorée. La bouche est souriante, les joues sont pleines, le cou est épais. Les caractéristiques du D.A. III sont donc bien marquées, mais c’est surtout à l’époque suivante que se généralisera le port du chignon. Cette tête qui proviendrait de fouilles clandestines à Bismya394 offre le témoignage le mieux conservé du rehaut de peinture appliqué sur les monuments en ronde bosse présargoniques : le visage portait encore des traces de peinture jaune-ocre, tandis que le ruban était peint en bleu et les cheveux en noir.

Ce goût de la polychromie chez les Mésopotamiens est déjà visible dans l’incrustation des yeux et des sourcils : noir du bitume encadrant le blanc de la coquille et simulant les cils, prunelle de bitume, de pierre noire ou de lapis-lazuli. Lorsque les yeux étaient sculptés et non incrustés, ils devaient être peints, comme on le voit encore sur une petite tête à résille de Mari395 où les yeux sont cernés de peinture noire, avec un point de peinture bleue pour la pupille. Les cheveux étaient aussi initialement peints en noir — de nombreux exemples en ont déjà été mentionnés — autant pour les femmes que pour les hommes dont la barbe était également teinte en noir396. La peinture sur les vêtements, généralement rouge, s’est plus facilement effacée. On en trouve pourtant des traces sur une statuette au polos de Mari où le kaunakès-chasuble avait été peint en rouge, tandis que le galon était noir397, ainsi que sur le buste teinté de rouge du « bédouin » de Mari dont la barbe était peinte en noir398. Des traces de peinture rouge étaient également discernables sur la statue acéphale de la femme portant le couple en pendentif (ci-dessus, p. 82) et sur le visage et les mains de la statuette de la tombe d’Ur (p. 115). La mauvaise qualité de la couleur explique sa disparition et l’on peut supposer qu’elle était beaucoup plus répandue qu’on ne peut actuellement en juger. Les traces ne sont restées visibles qu’aux endroits où plus d’épaisseur s’accumulait comme dans les sillons des cheveux, de la barbe ou du kaunakès. Que des vêtements rouges aient été portés est en tout cas confirmé par la découverte dans le « grand puits de la mort » à Ur d’un fragment de tissu tombé en poudre qui avait gardé une vive couleur ocre rouge399.

Il ne faut pas omettre les rares statuettes de femme nue qui nous soient parvenues. Dans la jarre du « trésur d’Ur » de Mari, à côté de la petite figure de bronze rehaussée d’argent (ci-dessus, p. 80), se trouvaient deux statuettes d’ivoire de femme nue debout, les mains jointes400 (Pl. 83). Les proportions sont bonnes, les formes pleines, mais sans exagération. Le sexe est marqué avec discrétion par deux lignes inclinées. La plus grande401 se singularise par un collier court, gravé dans l’ivoire et souligné de noir, avec un court contrepoids sur la nuque. La bouche est boudeuse, le nez aquilin, les yeux incrustés dans le bitume d’une petite coquille avec prunelle en bitume. Les sourcils étaient noircis au bitume comme les cheveux, tirés en chignon recouvert d’une résille et maintenus en place par un bandeau. Il y a ici une grande ressemblance avec la tête en albâtre polychrome du Louvre (Pl. 82). Si Bismya est bien le lieu de découverte de cette petite tête, la comparaison est intéressante, car elle offre un parallèle avec la Mésopotamie du Sud pour ces ivoires dont par ailleurs les ivoires d’Assur sont tout à fait proches, comme l’ont indiqué M. Parrot402 et après lui Sir Max Mallowan et M. et Mme Moortgat403. Sur les sept statuettes fragmentaires du niveau G du temple d’Ishtar à Assur404, quatre d’entre elles (no  61-64) représentent une femme nue, mains jointes, dont le corps est traité de la même façon sensible, sans accentuer les formes. Les cheveux sont tirés en chignon maintenu par un bandeau qui enserre la tête (no  61) ou le chignon est enfermé dans une résille (no  62-63). Dans ce dernier cas, deux boucles tombaient sur les seins. Ces figurines mesuraient une dizaine de cm. Une seule405 avait le bras droit le long du corps et le bras gauche ramené sous les seins, attitude que l’on retrouve sur un torse de calcaire406. La discrétion avec laquelle est indiqué le sexe montre que l’idée de fécondité n’est pas prépondérante dans l’intention qui a motivé ces figurines, pas plus que dans une très jolie statuette acéphale en bois trouvée à Tell el-Wilayah407 (Fig. 39), rapprochée à juste titre par M. et Mme Moortgat des figurines d’ivoire de Mari408.

39. Tell el-Wilayah. Femme nue. Bois.

Les bras sont cassés, mais la trace d’attache sous les seins montre qu’un bras au moins était replié et plus probablement les deux, avec les mains jointes. Le bas des jambes a disparu, mais il faut remarquer qu’elles sont décalées dans l’attitude de la marche, ce qui est nouveau chez les femmes, vêtues ou non.

Plus « classique » est l’orante nue en bronze du Louvre, déjà signalée pour son bourrelet en forme de V au bas du cou (ci-dessus, p. 94, n. 259)409. Comme la statuette masculine, elle repose sur une plaque carrée en bronze, mais ses jambes sont jointes. Le sexe triangulaire est indiqué sans exagération, les hanches sont minces, les seins ronds et fixés hauts, la taille fine. Les yeux sont en relief, le nez aquilin du bout ; la bouche aux commissures relevées sourit. Les oreilles sont grandes et décalées, les cheveux lissés sont séparés sur le front par une raie au milieu et tirés derrière les oreilles, bouffant sur la nuque où ils sont recouverts par un tissu strié transversalement. Deux petits bronzes analogues ont été signalés par S. Przeworski, l’un à Cambridge et l’autre à Stockholm410. Comme nous l’avons proposé411, ces petits bronzes dont la provenance évolue entre le littoral libanais et le sud de l’Anatolie, pourraient être l’œuvre d’un sculpteur mésopotamien installé dans la région du haut Euphrate, à l’époque charnière entre la fin du D.A. III et le début de l’empire d’Akkad, à un moment où l’extension de l’art mésopotamien est attestée jusqu’en Syrie du Nord (ci-dessous, p. 127).

Avant de quitter la Mésopotamie présargonique, il faut revenir sur les petits couples déjà évoqués au D.A. II (ci-dessus, p. 69). C’est encore Mari qui les illustre le mieux avec la statuette du « couple enlacé » assis sur une banquette sans dossier412 (Pl. 84). L’homme et la femme ont été décapités, mais la mutilation n’a pu détruire la grâce de la femme en robe kaunakès appuyée contre le buste nu de son compagnon qui lui saisit le poignet droit de sa main gauche. Il y a un monde entre l’habileté du sculpteur et la maladresse de celui de Nippur qui, au D.A. II avait rendu avec raideur le même geste. Le siège a la particularité d’être découpé en festons à la partie supérieure, avec par derrière, entre les pieds carrés, une décoration de douze trous ronds percés horizontalement entre deux motifs en arête de poisson, variante du décor du siège de la « madone » (ci-dessus, p. 112). Il s’agit sans aucun doute d’un couple princier ou élevé dans la hiérarchie, alors qu’à la même époque des essais populaires sont esquissés à Mari et à Khafadje413. Ce dernier couple, trouvé dans le secteur d’habitations, a pour seul mérite de montrer la femme coiffée du turban volumineux et l’homme portant les cheveux longs dans le dos.

Ce n’est pas non plus un but artistique que poursuivait le sculpteur de Mari lorsqu’il représenta un couple de musiciens414 (Pl. 85), père et fils, ou maître et disciple comme l’a proposé la musicologue Muriel Williamson415 en se référant à une coutume encore en usage en Birmanie. De fait, l’homme de gauche est plus grand que l’autre, sans doute pour respecter la convention hiérarchique qui veut que le personnage le plus important soit d’une plus haute taille que les autres, ce que l’on a moins l’occasion d’observer en sculpture qu’en bas-relief. Ici le bloc est si grossièrement épannelé que les corps sont délimités par une simple ligne verticale sans respecter la place des épaules mitoyennes et des bras, semblant vêtus d’une seule robe de kaunakès d’où émergeraient deux têtes couronnées de toques striées verticalement et aplaties au sommet. Le facies est caricatural avec le grand nez tombant sur une bouche en arc de cercle et les yeux sculptés en relief. Le menton en galoche et de grandes oreilles achèvent de donner un air mi-comique, mi-pathétique qui les a fait surnommer les deux « clowns ». L’instrument arqué que chacun serre sur sa poitrine de la main gauche, alors que la main droite le rejoint, refermée sur un petit objet disparu, a été identifié avec un cor par A. Parrot et avec une harpe par M. Williamson. La musicologue a ingénieusement reconstitué l’enroulement des cordes416 et un plectre dans la main droite. Malheureusement, comme nous l’avons écrit ailleurs417, l’orientation des trous de la main droite ferait sortir le plectre vers l’extérieur et non en direction des cordes et de plus les cordes obliques reconstituées étaient jouées avec les doigts et non par l’intermédiaire d’un plectre.

L’identification des instruments n’est donc pas assurée. Le kaunakès recouvre les deux épaules, mais alors que le poil laineux suit l’épaule extérieure, il couvre transversalement les deux épaules contiguës. Le vêtement tombe jusqu’au bas du corps, raccourci seulement devant les jambes pour laisser les chevilles et les pieds visibles. Ce groupe est un exemple frappant de la liberté laissée à cette époque aux artisans aussi bien qu’aux fidèles dans la représentation offerte aux dieux. Il y avait certes une tradition, des modes, mais, semble-t-il, aucune exclusive.

Élam — Iran

L’Élam, durant le D.A. III, semble très influencé par la culture sumérienne et vit l’époque que P. Amiet a appelée « suméro-élamite » pour sa dépendance quelque peu provinciale de la puissance sumérienne418. Déjà le D.A. II en avait laissé des témoignages à Suse (ci-dessus, p. 73), mais la phase suivante est mieux représentée et le premier exemple de cette influence sumérienne est un couple d’orants assis, acéphales et très frustes, tenant chacun un vase et un rameau419.

Les hommes et les femmes portent généralement le kaunakès comme la statue royale de porteur de chevreau (ci-dessus, p. 90), très proche de celle du roi LamgiMari. Une statue d’homme barbu que P. Amiet considère également comme un porteur de chevreau420, porte le vêtement de kaunakès qui couvre l’épaule gauche que nous estimons royal (Pl. 86). La stylisation est plus poussée que sur l’autre porteur de chevreau de Suse, les volants de kaunakès ne sont plus traités mèche par mèche et tendent à devenir une superposition de lignes verticales où l’on voit encore au bas de chaque rang la pointe des mèches, alors qu’à l’époque d’Akkad et à fortiori à l’âge néo-sumérien elle va disparaître. La longue barbe carrée qui semble dégager les joues se termine par une rangée de bouclettes comme à Mari. Les yeux ont perdu leur incrustation. Les cheveux sont portés courts, à l’élamite, surplombant le front et s’arrêtant sur la nuque, comme sur une tête barbue aux yeux sculptés signalée au D.A. II (ci-dessus, p. 74, n. 152), mais ici une sorte de boucle sur la face postérieure de la tête indique qu’une mèche repliée remontait en chignon par-derrière. Tout autour de la tête, une dépression marque l’emplacement d’un bandeau passant sur le front et maintenant étroitement la mèche en chignon. Il devait être en métal, bronze, argent ou or421 et c’est ce dernier qui est le plus plausible, comme on peut l’imaginer aussi pour l’animal que l’homme portait sur la poitrine. Le bras gauche et le bras droit sont en effet perforés de trois petits trous disposés l’un au-dessus de l’autre, distants d’1 cm, destinés à des tenons. Si l’animal avait été en pierre, il n’eût pas été arraché. Les mains aussi devaient être sculptées en métal, ce qui explique qu’elles n’aient pas été traitées en pierre. Malgré la détérioration, on sent là une œuvre de grande qualité de la fin du Présargonique où déjà les changements qu’apportera l’empire d’Akkad sont annoncés. Il se peut aussi que ce soit un exemple de ce « décalage provincial » préconisé par Sir Max Mallowan422.

La sculpture susienne n’est pas toujours aussi raffinée, si l’on en juge par une statuette d’orant serrant ses deux mains l’une dans l’autre. Lui aussi porte le vêtement de kaunakès, aux mèches grossièrement taillées, qui couvre l’épaule et le bras gauches et pourtant l’œuvre n’a rien de royal423. Les traces d’archaïsme sont visibles aux coudes pointus, aux épaules anguleuses, à la tête enfoncée dans le buste, aux pieds et aux mains grossièrement indiqués, mais c’est dû à la maladresse du sculpteur plus qu’à l’ancienneté de l’œuvre, à cause du port du kaunakès et de l’indication du mamelon droit. Le visage est taillé « à coups de serpe », avec un menton très pointu, des arcades sourcilières profondément creusées ainsi que les entailles délimitant les yeux sculptés ; les cheveux, coupés en carré entre les omoplates, cachent les oreilles et sont traités par grandes entailles se croisant comme pour représenter une résille. Cette technique inhabituelle se retrouve quelque mille ans plus tard sur un petit jouet en forme de hérisson dont il représente les piquants424.

La mode mésopotamienne est également adoptée par les femmes. Une statuette très abîmée d’orante aux mains jointes, vêtue de la robe de kaunakès425, est tout à fait comparable à la statuette de Shatra au Louvre (ci-dessus, p. 114, n. 384), tant par le canon court, l’attitude, que par la longue chevelure dans le dos, maintenue par le ruban croisé sur la nuque, que l’on devine à peine. Tout aussi trapue est une statuette acéphale, récemment publiée426, aux volants de kaunakès inégaux, découvrant l’épaule droite, alors qu’une orante acéphale427 porte une robe plissée qui fait penser au peplos grec, mais un peplos qui couvrirait les bras et dont le haut serait uni428 (Fig. 40).

40. Suse. Orante. Calcaire.

Les mains sont enroulées l’une dans l’autre comme celles du petit-fils de Lugalkisalsi (ci-dessus, p. 86) ou d’Ebiḫ-il de Mari (p. 98). Plus difficile à situer est une tête masculine imberbe aux orbites évidées dans un visage allongé aux lèvres souriantes429. Ni les cheveux, ni les oreilles ne sont indiqués et le cou est inexistant. Peut-être cette tête s’ornait-elle d’une perruque ou d’une coiffe amovible, car le crâne rasé des Sumériens paraît rare à Suse. Il existe pourtant une tête430 qui peut avoir été taillée dans une pierre ronde et dont le faciès ne doit rien à la facture sumérienne (Fig. 41). Le crâne est rasé, le front bas est prolongé par un très long nez plat qui tombe sur la bouche faite d’un ressaut arrondi et étroit. De part et d’autre du nez, l’emplacement des yeux et des joues est évidé en ovale plat et les yeux sont plutôt gravés que sculptés. Le nez porte également deux incisions qui peuvent être accidentelles. Les oreilles sont faites d’un bourrelet ovoïde et un collier de barbe est exprimé par des stries latérales limitées au pourtour du visage.

41. Suse. Tête masculine. Albâtre.

42. Dabar Kot (Pakistan). Tête masculine.

P. Amiet l’a très justement rapprochée431 d’une tête trouvée au Balutchistan septentrional (Pakistan), à Dabar Kot432 (Fig. 42), qui appartient à la civilisation de Harappa, plus ou moins contemporaine du Dynastique Archaïque. Les stries du collier de barbe évoquent aussi les têtes de Mohenjo-Daro433, si bien que la tête de Suse pourrait être une importation attestant des échanges avec le Balutchistan et l’inclus à travers le désert de Lut ou les provinces du sud de l’Iran434, ce qu’atteste également un petit buste féminin en albâtre de Suse435, (Pl. 87) d’une facture inexpliquée jusqu’aux fouilles qui ont révélé la civilisation de la vallée du Zhob436. On y retrouve en effet les longs cheveux sur les épaules, avec ici deux mèches tombant sur la poitrine, le nez légèrement busqué dans le prolongement du front, l’absence de bouche, de grands yeux ronds, ici sculptés, et surtout des seins volumineux tombant sur une taille exceptionnellement fine (Fig. 43).

43. Deh Morasi Gundai (Afghanistan). Buste féminin. Terre cuite.

Les bustes de terre cuite se terminent généralement en petit piédestal sous la taille437 ; pourtant des fouilles récentes au Balutchistan ont permis de retrouver une figurine complète de ce type438, aux jambes séparées, terminées par un pied maladroitement indiqué par des entailles pour les orteils. Il faut noter que les colliers rigides à plusieurs rangs, caractéristiques de ces figurines, n’existent pas sur le buste de Suse, ce qui peut faire admettre avec Ph. Gouin436 qu’il « ne s’agit pas d’un objet importé du monde indien, mais [qu’] il est tout aussi évident que l’artiste qui le sculpta fut influencé par le goût typiquement indien des formes féminines plantureuses ». La date des figurines du Balutchistan est mieux connue en chronologie relative qu’en chronologie absolue, mais elles paraissent contemporaines du Dynastique Archaïque439.

C’est en Iran que s’est développé à cette époque le travail de la stéatite440. À côté de vases sculptés dont la diffusion s’est étendue en Mésopotamie et jusqu’à Mari, il existe quelques exemples en ronde bosse, parmi lesquels un petit homme assis à l’orientale de l’Acropole de Suse441. Sa tête, coiffée de longs cheveux nattés dans le dos, est énorme par rapport au corps. Les traits du visage ont malheureusement disparu. Sur le buste maigre et nu les pectoraux sont soulignés en accolade, séparés par un sillon vertical qui descend jusqu’à la taille. Les bras sont filiformes, les avant-bras maladroitement allongés le long de la jupe jusqu’aux genoux ; les mains saisissent un court bâton442. La jupe ouvragée dont l’homme est vêtu est serrée à la taille par une ceinture en bourrelet ; le tissu en est rendu par des stries superficielles en chevrons, procédé utilisé également pour les cheveux et que l’on trouve dans la crinière du lion sur un vase en stéatite de Khafadje443. Ce qui frappe dans la statuette de Suse, c’est son aspect raide et anguleux.

44. Tépé Yahya. Torse en stéatite.

Plus souple est un torse en stéatite découvert à Tépé Yahya (Fig. 44), en même temps que des fragments de vase de même matière444. Les pectoraux en accolade sont séparés au milieu et la poitrine est piquetée de petites encoches pour indiquer le système pileux. Deux nattes tombent par devant et rappellent la coiffure de l’homme assis sur des zébus sur le même vase de Khafadje443. Comme tous les fragments de stéatite trouvés à Tépé Yahya, ce torse est intéressant parce qu’il est un jalon entre l’Indus et la Mésopotamie445. Le niveau IV B dans lequel il été trouvé est généralement considéré comme appartenant à la fin du Dynastique Archaïque III ou même au début de l’époque d’Akkad446.

Syrie du Nord

En Syrie du Nord, un exemple de kaunakès royal est fourni par la statue monumentale découverte en deux morceaux par M. von Oppenheim en 1913 au Djebelet el Beida447. Un troisième bloc de basalte ramassé dans les environs immédiats en 1927 peut être un morceau de la tête, devenue informe. L’homme était debout, vêtu du kaunakès qui recouvre l’épaule et le bras gauches. Les deux bras sont pliés le long de la taille et les mains ouvertes sont maladroitement rendues. Entre le pouce et l’index de la main droite est passé le manche d’une masse d’armes dont la tête repose sur l’épaule. Une barbe trapézoïdale s’étale sur la poitrine, striée en zig-zag. Sur les omoplates, deux pans unis s’évasent, descendant probablement de la chevelure et que Mme Moortgat-Correns rapproche de la coiffure d’un buste de Mohenjo-Daro448. Il n’y a ni jambes, ni pieds. Cette statue grossièrement taillée est d’une dimension tout à fait inhabituelle. Elle était accompagnée de deux grandes stèles de basalte d’environ 3 mètres de haut, représentant toutes deux un homme de grande taille de profil à gauche debout l’un sur deux petits personnages449, l’autre sur un taureau, deux attitudes que les Hittites illustreront en particulier sur les rochers de Yazilikaya au XIIIe siècle av. J.-C.450. Il s’agit certainement de la commémoration d’une victoire d’un roi, qu’il soit mésopotamien ou vassal de la Mésopotamie. Les découvertes de Tell Khuera ont montré que la région du haut Euphrate et de ses affluents, le Balikh et le Khabur, était sous l’influence mésopotamienne dès le D.A. II ou III, suivant que l’on admet ou non le décalage « provincial » préconisé par Sir Max Mallowan (ci-dessus, p. 72, n. 141). La date attribuée par Mme Moortgat-Correns, entre Mesilim et le début de la Ière dynastie d’Ur451 pourrait être abaissée à la fin du D.A. III pour les mêmes raisons.

Cette magnifique époque que fut le Dynastique Archaïque pour l’essor de la ronde bosse appelle quelques réflexions sur la technique employée par les tailleurs de pierre. Une ébauche de statue assise de Tell Asmar montre comment la pierre était épannelée à grands coups de ciseaux pour séparer le bloc de la tête, creuser entre le menton et les genoux et évider la place des pieds entre le bas de la jupe et le socle452. Mais la difficulté était de se procurer la pierre, surtout en Basse Mésopotamie. Ce fait est corroboré par deux constatations : l’énorme proportion de statuettes mesurant moins de 30 cm453 et le grand nombre de statues faites de plusieurs morceaux. Certes, comme l’a souligné H. Frankfort454, les sculpteurs mésopotamiens ont réparé leurs sculptures, « ce qui aurait horrifié leurs collègues égyptiens » et les exemples ne manquent pas, mais ils ont aussi, pour tirer parti de tous leurs blocs, pratiqué l’assemblage par tenon et mortaise des différentes parties du corps.

Le cas le plus fréquent est le trou de mortaise à l’encolure pour recevoir la tête. Une statue d’homme barbu de Khafadje en est un bon exemple455, ou l’un des orants de la cachette de Tell Asmar, dont la tête enfoncée dans les épaules est fixée par une cheville456. Le trou de mortaise est bien visible entre les épaules de la statue féminine acéphale de Tell Aswad457 et le cas est fréquent à Mari458. Parfois le trou est ménagé dans la tête, comme c’est le cas pour une tête masculine d’Ur459 ou une grande tête à polos de Mari460. On trouve aussi trois trous de mortaise perforés à la fois dans le corps et dans la tête461.

À Mari, les statues sont souvent raccordées à la taille et si l’on a trouvé des jupes de kaunakès à mortaise462, il est plus intéressant encore de connaître des bustes dont le tenon en tronc de cône est sculpté à même la pierre463.

Les jambes et les socles pouvaient aussi être mortaisés et des bases portant la forme des pieds avec deux mortaises étaient fabriquées à Tell Asmar, à Khafadje et à Mari464 où les statues assises pouvaient avoir un socle solidaire des pieds, comme c’était probablement le cas du « couple enlacé » dont les pieds et le socle devaient être fixés par quatre tenons465. C’est ce qui explique que beaucoup de statues, dont les jambes étaient sculptées à part et fixées au bas des robes, s’arrêtent à la partie inférieure du vêtement466. Un exemple de membres rapportés est fourni par la statue d’Ebiḫ-il de Mari (ci-dessus, p. 97, Pl. 64) dont les jambes sont deux morceaux d’albâtre taillés pour former le pied, aujourd’hui cassé, et le dessus de la cheville. La partie supérieure de chacun des morceaux était dégrossie de façon à former un tenon destiné à entrer par force dans un trou ménagé sous la jupe. Sous le talon, un trou circulaire était pratiqué pour fixer le pied sur un appui qui n’a pas été retrouvé. La hauteur de ces jambes était d’environ 12 cm, comprenant 3 cm de tenon467. Une statuette féminine de Khafadje montre comment un socle rond à montant arrière, contre lequel s’adossaient les jambes, se prolongeait en un tenon de pierre qui entrait dans une cavité rectangulaire de 2,8 x 1,8 x 2,1 cm, ménagée dans le bas de la robe et maintenu solidement par un rivet, aujourd’hui disparu, introduit dans un trou rond468. La petite dimension de la pierre à sculpter a même nécessité le raccord du bas de la robe et des jambes, comme nous l’avons déjà signalé pour une statuette féminine d’Ur (ci-dessus, p. 115, n. 387 s.), où le dos de la tête avait aussi dû être ajouté. Une tête rasée et imberbe de Khafadje avait ainsi été complétée car le dos du crâne présentait deux trous469.

Par commodité autant peut-être qu’en raison du format de la pierre, les sculpteurs de Mari ont façonné parfois séparément le pan de ceinture de la jupe qu’André Parrot a appelé le « nœud de jupon »470. Sculpté avec la stylisation du kaunakès, il était muni d’un tenon qui permettait de l’insérer à l’arrière de la jupe, comme le montre bien un exemplaire où la mortaise est percée de trois trous471.

La nécessité d’ajouter le nez peut aussi être due à la forme de la pierre, mais elle peut également être motivée par une cassure et il est difficile d’en décider. Une statue d’orant rasé et imberbe de Khafadje, dont les pieds font défaut, avait la tête ajustée au corps à l’aide de bitume, de sorte que l’on ignore s’il y avait une mortaise. Sur cette tête, le nez était également fixé avec du bitume472, ce qui milite en faveur d’une réparation. Lorsque le nez a disparu, on peut voir son emplacement plat, perforé d’un ou plusieurs trous pour l’ajustement473. C’est le trou de réparation du nez qui nous fait placer au Dynastique Archaïque un porteur de chevreau de Mari, grossièrement taillé dans une dalle de gypse474. Les yeux incrustés en coquille sont aussi en faveur de l’époque présargonique, alors que le vêtement qui découvre l’épaule droite et semble retomber sur le bras gauche, le situerait plutôt au début d’Akkad. L’animal aux pattes alignées droites, les poings serrés qui le serrent, la barbe carrée non détaillée, les grandes oreilles décollées, accentuent la différence avec les porteurs de chevreau de l’époque d’Akkad à Mari (ci-dessous, p. 161).

Le bitume a servi de colle aux anciens Mésopotamiens. Utilisé pour fixer l’incrustation des yeux — sans doute aussi parce qu’il donnait l’illusion des cils —, il était l’intermédiaire de toute réparation, soit en mince couche, soit en grande épaisseur, comme c’est le cas pour une statue virile de Khafadje où les jambes disparues ont été remplacées par un morceau de bitume entre la jupe et les pieds475. Ces réparations n’ont pas toujours tenu et c’est ainsi que seul subsiste le bitume sur des corps décapités ou sous les têtes séparées de leur corps476.

Animaux

À ce stade, le répertoire animal de la statuaire appelle plusieurs remarques : 1) Les animaux sont beaucoup moins nombreux que les humains et ceci s’explique du fait qu’ils ne répondent pas à la même fonction d’ex-voto dans les temples ; 2) le métal — or, argent, cuivre, puis bronze — fondu ou martelé, est largement utilisé et a permis de plus grands formats ; 3) l’espèce qui domine est le bovidé ; 4) la quasi-totalité de la ronde bosse animale présargonique appartient à la troisième phase.

La race des équidés est cependant attestée dès le D.A. II, grâce au petit char de cuivre de Tell Agrab, traîné par quatre ânes ou onagres477 (Pl. 88). Les animaux sont au repos avec leurs pattes alignées deux par deux. La petite dimension et la dégradation du métal n’empêchent pas d’admirer la robustesse des formes et en particulier de la tête allongée aux yeux incrustés de coquille et aux courtes oreilles dressées dans l’attente de la sollicitation du conducteur debout sur l’essieu des deux roues ; celui-ci a déjà rejeté en arrière les pans de sa jupe pour le départ. L’extrémité des rênes est fixée à un anneau passé dans la machoire supérieure, comme on le voit également sur un fragment de coquille de « l’étendard » de Mari où les quatre têtes superposées sont dénombrées seulement par les quatre paires d’oreilles478. Plus nerveux est l’onagre en électrum qui surmonte un passe-guide de la tombe de la reine Pu-abi d’Ur479 ; les pattes décalées dans l’attitude de la marche donnent une grande élégance à la silhouette et dénotent une exceptionnelle habileté de la part du sculpteur et du fondeur. La crinière est indiquée, de même que les crins de la queue, contrairement aux animaux de Tell Agrab et il y a entre les deux œuvres, plus encore peut-être que la distance entre D.A. II et III, la différence entre une commande royale et une œuvre rustique.

Le plus beau spécimen bovin est une vache en serpentine translucide verte de petit format, trouvée enfouie dans un autel du temple VI de Nintu à Khafadje480. Couchée sur ses pattes repliées, elle tourne vers la gauche une tête au mufle puissant et court, dont l’extrémité enroulée vers le haut forme les naseaux ; deux fortes cornes encadrent une crinière en frange bouclée sur le front. Une barbe largement répandue en carré sur le poitrail est traitée comme la crinière en mèches parallèles aboutissant quatre par quatre à une grosse boucle enroulée vers la gauche du côté gauche et vers la droite du côté droit. Une sangle passant sur le mufle la maintient en place, ce qui fait penser à une barbe postiche et H. Frankfort envisageait même l’hypothèse d’un accessoire en une pièce, formé de la crinière, des cornes et de la barbe, attirant l’attention sur deux mèches bouclées tombant dans le dos481. Il est certain que, malgré le soin avec lequel tout l’animal est sculpté, y compris le dessous du corps où le pis est apparent, le modelé des pattes et l’extrémité poilue de la queue remontant le long du flanc gauche, l’impression n’est pas celle que donne une bête copiée d’après nature. Manifestement cette vache barbue, faite pour être vue du profil gauche, était dotée d’un pouvoir sacré, en rapport avec une déesse, mais sa petite taille en fait difficilement une image de culte sur l’autel comme le suggérait P. Delougaz482. Une toute petite réplique, mais de profil à droite, constitue une amulette en lapis-lazuli trouvée sur l’épaule de la reine Pu-abi (ou Shub-ad) d’Ur483 (Pl. 89). Malgré la petitesse de l’objet, les détails sont bien visibles et en particulier la sangle sur le mufle que l’on retrouve également sur de minuscules amulettes d’or d’autres tombes d’Ur484, dont une représente deux avant-trains accolés, toute proche d’un exemplaire en lapis-lazuli du temple d’Ishtar à Mari485. La barbe postiche attachée par un lien est bien visible aussi sur la tête de taureau en or qui ornait l’une des lyres d’Ur486. Les mèches ondulées terminées par une boucle qui la constituent sont séparées par des espaces « en chapelet » comme la barbe d’Ebiḫ-il ou d’Iku-Shamagan de Mari (ci-dessus, p. 87), technique visible sur un fragment d’avant-train de taureau de Mari487. Les textes manquent pour expliquer le sens de ces barbes postiches et l’identité d’un taureau ou d’une vache sacrés qu’il faut distinguer du taureau androcéphale barbu, si fréquent dans la glyptique présargonique ou sur des panneaux de coquille d’Ur488, et dont un très bel exemplaire en stéatite et or a été trouvé en Syrie à Tell Mardikh/Ebla489. À Nippur, sur deux animaux couchés tête-bêche, tandis que l’un est privé de sa tête, l’autre est un bovidé à tête humaine, mais imberbe et sans cornes490 ; son visage est encadré de deux boucles latérales et d’une crinière en frange sur le front. Il y a là l’illustration de toute une mythologie qui nous échappe.

Il est possible que les têtes de bovidés barbus, telles qu’elles ont été luxueusement façonnées pour orner les devants de lyres des tombes d’Ur, aient représenté un mélange de taureau et de bison, ce dernier mammifère étant le seul à avoir une barbe et une épaisse toison sur le front491. Le bison étant plus rarement observé dans les agglomérations et sa force considérable donnant lieu sans doute à des récits déjà légendaires et entourés de mystère, les artistes auraient copié la tête plus familière des taureaux et y auraient ajouté barbe et crinière. Il en est résulté cet animal hybride dont le plus beau spécimen est certainement la tête de lyre en feuille d’or martelée avec crinière, barbe, pupille et pointe des cornes en lapis-lazuli492. Des éléments de lapis torsadé, semblables à ceux qui constituent la barbe ont été ramassés très nombreux dans les temples d’lshtarat et de Ninni-zaza à Mari493 et l’on peut penser qu’une tête de taureau en or et lapis-lazuli analogue à celles d’Ur existait dans la ville du Moyen-Euphrate puisqu’une oreille de bovidé en or a été ramassée dans la salle 13 du temple de Ninni-zaza494.

Le taureau copié d’après nature est plus abondamment représenté, mais surtout en métal. Les ateliers de la Diyala ont pourtant produit quelques beaux exemples de têtes en pierre parvenues mutilées. Le mufle, traité avec sensibilité, forme un élargissement où sont percés les naseaux bien visibles de face. Deux petites têtes absolument semblables, aux yeux sculptés, dont les cornes et les oreilles perdues étaient façonnées séparément et ajustées dans des trous, proviennent du temple de Nintu à Khafadje, dont une du niveau VII, ce qui les ferait remonter au D.A. II495, ainsi qu’un très beau mufle d’albâtre du temple Ovale I496. Le plus bel exemple en albâtre est sans doute au Musée de Bagdad, avec son mufle en trapèze « enroulé » vers le haut, typique du taureau au D.A. III, qui rend étonnamment bien la réalité formelle du bovidé497. Deux têtes de taureau à trou de mortaise dans le cou se trouvaient dans le temple de Shara à Tell Agrab498. Peut-être est-ce à la même époque que l’on peut attribuer un avant-train de bovidé ramassé dans des déblais à Warka499. Les pattes antérieures et les cornes sont cassées. Les yeux sont sculptés et les plis arqués des paupières sont fortement modelés. Des restes de peinture rouge sont encore visibles dans les creux.

Les réalisations les plus étonnantes sont certainement dues à l’industrie du métal, et spécialement les taureaux de cuivre d’el Obeid, trouvés de part et d’autre de l’escalier principal du temple par Hall en 1919 et par Woolley en 1923500 (Pl. 90). Seuls deux d’entre eux sur huit ont pu être remontés et grâce à la méthode exemplaire utilisée par Woolley qui a pu étudier le mode de fabrication : le corps était en bois sur lequel étaient mortaisés et fixés, à l’aide de longues chevilles de cuivre ou de bois, la tête, les jambes et la queue, l’assemblage étant ensuite recouvert d’une mince couche de bitume ; puis la tête et les jambes de bois étaient recouvertes de feuilles de cuivre martelées, avant que le corps lui-même ne soit recouvert à son tour par martelage. L’animal est debout, la tête tournée vers la gauche, le corps puissant avec le fanon apparent, la queue épaisse écartée de la croupe501. Le mufle avait été endommagé, mais il reste suffisamment de têtes de cuivre du D.A. III pour que l’on y reconnaisse les caractéristiques de la technique de l’époque, telle qu’on l’observe par exemple dans les tombes d’Ur où cependant les yeux sont généralement incrustés de coquille et de lapis, alors qu’à Obeid, ils sont ciselés en métal. Les paupières supérieures sont accentuées par une série de sillons arqués superposés, copiés d’après nature, et l’extrémité du mufle est enroulée, ménageant les naseaux502 (Fig. 45).

45. Ur. Tête de taureau. Cuivre.

Si les têtes en métal étaient souvent utilisées pour orner l’avant des lyres, elles pouvaient aussi s’adapter sur des corps en relief, comme les panneaux de bois recouverts de cuivre de Tell el Obeid en ont fourni l’exemple503. Deux belles têtes de taureaux ont été trouvées à Tello, dont l’une est au Musée du Louvre et l’autre à Istanbul504. D’autre part le temple IX de Sin à Khafadje en a livré une505, tout à fait analogue à un objet du Musée de Berlin506. Le taureau de Khafadje, outre les yeux incrustés de coquille et de lapis-lazuli, portait sur le front un triangle en coquille, pointe en bas, serti dans du bitume comme les yeux. Le même motif triangulaire, mais en lapis-lazuli, est incrusté sur une tête de lyre d’Ur, en avant d’une crinière en frange, traitée comme des mèches de kaunakès507. Il faut noter que malgré l’utilisation simultanée de détails stylisés, les artistes mésopotamiens ont manifesté dès cette époque un don étonnant dans l’observation de l’animal. Il est hasardeux d’expliquer le triangle frontal, situé à un endroit où le taureau peut présenter une touffe de poils que l’on verrait mieux exprimée par une spirale ou une étoile508 et qui ne figure pas sur les plus belles têtes de lyre d’Ur, en or et lapis-lazuli. Le triangle, autant que l’on sache, n’est pas l’attribut d’une divinité particulière. Tout au plus peut-on supposer qu’il dénote un caractère sacré. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’en Égypte, le taureau Apis, dont le culte remonte à la Ière dynastie (fin IVe-début IIIe millénaire) était désigné comme animal sacré par certains traits particuliers, dont un triangle blanc sur le front509. La documentation ne remonte pas plus haut que la seconde moitié du Nouvel Empire, mais la tradition s’est perpétuée sans faille : le signe était marqué sur la momie de l’animal sacré510 et des statues en bronze d’Apis d’époque saïte montrent bien le triangle sur le front de l’animal sacré511. Il est peu probable que ce parallélisme soit pure coïncidence. Le triangle orne aussi le front de têtes de taureau en pierre qui ont pu servir d’accoudoir de siège ou de gâche de porte512.

Un signe également sacré est le croissant en léger relief tracé sur le front d’une tête de taureau en cuivre d’Obeid513. Cette tête, manifestement moulée, d’après l’épaisseur du métal et l’incorporation des oreilles, était fixée au corps de l’animal par une cheville de cuivre encore en place dans le haut de l’encolure. Ce cas isolé de croissant lunaire met l’animal en rapport avec le dieu Sin, sans que l’on puisse préciser davantage.

D’autres mammifères étaient considérés comme animal sacré et le triangle incrusté orne deux têtes d’antilope en cuivre de Shuruppak, aux grandes cornes annelées514. Au centre du triangle en coquille est gravé un double cercle concentrique incrusté de lapis-lazuli et de chaque côté du mufle ainsi que sur l’encolure sont incrustés des cercles de coquille : quatre sur la plus grande tête, deux sur la plus petite. Le réalisme de ces têtes est très remarquable en dépit d’une grande sobriété de moyens, ce qui n’est pas le cas pour les deux riches statues de bouc du « Puits de la mort » d’Ur, qui rentrent dans la catégorie de supports d’offrandes515 (Pl. 91). La bête est dressée sur ses pattes postérieures, derrière un arbuste auquel il était attaché par une chaîne d’argent tombée en poussière. Sur l’échine un appendice s’élève à la même hauteur que le sommet des cornes, de façon à supporter un plateau disparu. Le tronc de l’arbuste et le support étaient en bois recouvert d’or, comme l’était le corps du bouc. Si les pattes et la tête sont en or, le ventre était d’argent. Les cornes, la barbiche, les poils du front et la pupille de l’œil sont en lapis-lazuli, de même que tout le haut de la toison, faite de lamelles lancéolées striées jusqu’à la hauteur des pattes antérieures. Trois rangées de lamelles de coquille superposées de chaque côté recouvrent le reste du corps, ce qui a permis d’identifier, nous l’avons vu (ci-dessus, p. 76), la matière du kaunakès comme une toison laineuse. Le capridé appartient à la famille des markhor (capra falconeri) avec ses cornes droites spiralées et sa barbiche. Mise à part la toison conventionnelle, la tête et les pattes sont d’une grande vérité et forment un contraste avec l’arbuste en or : du tronc uni jaillissent symétriquement deux branches latérales se divisant en quatre tiges terminées par deux fleurs à huit pétales et deux feuilles pointues. À cette époque, la flore n’a guère inspiré les artistes, comme on peut le constater aussi sur les coquilles gravées. Les deux statues présentaient quelques différences et en particulier sur le socle rectangulaire dont l’un était entièrement recouvert de mosaïque de coquille, lapis-lazuli et pierre rouge, tandis que l’autre était en mosaïque et en argent.

C’est également dans le « Puits de la mort » que gisaient les deux statues de cerf en cuivre, écrasées l’une contre l’autre516. Ici aussi les animaux, mal conservés, étaient dressés sur leurs pattes arrière, les pattes de devant reposant sur la fourche d’une plante aux longues feuilles pointues qui encadrent les deux têtes soudées par la corrosion et qui n’ont pu être séparées. Une réplique exacte, mais en argent, ornait l’avant d’une lyre en argent517. L’état dans lequel ces sculptures ont été trouvées, malgré l’habileté qui les a restituées dans leur apparence originelle, permet seulement d’identifier l’animal et d’apprécier le mouvement observé lorsque le cerf se nourrit aux branches d’un arbre. La technique est celle du martelage de feuilles de métal sur une âme de bois comme pour les cerfs liés par l’aigle léontocéphale du grand panneau d’Obeid518.

La façade du temple d’el Obeid s’ornait également de lions dont quatre têtes, grandeur nature, ont été découvertes en assez piteux état, non loin des taureaux519. Deux d’entre elles étaient encore attachées à l’avant-train grâce à un trou de mortaise carré. Il s’agit donc, sinon de l’animal entier, du moins de protomé et l’on pense aux avant-trains de lion néo-sumériens qui défendaient l’intérieur de la porte du temple de Dagan à Mari (ci-dessous, p. 290) et dont ils seraient les ancêtres. L’aspect ne devait pas en être moins redoutable avec les yeux à la pupille rouge dilatée dans un enchâssement de coquille sertie elle-même dans un ovale de schiste bleu. L’effet de gueule ouverte était assuré par des plaquettes de coquille, striées verticalement pour simuler la séparation des dents, et par des éléments triangulaires représentant les canines ; un trou au milieu du mufle laissait passer une langue en jaspe rouge. Les sillons transversaux du mufle sont bien rendus plastiquement et la crinière forme sous le menton une collerette festonnée à la manière d’un rang de kaunakès, faisant suite à de longues mèches striées superposées autour de la tête. Il s’agit donc bien de lions, alors que deux plus petites têtes sans crinière, aux yeux simplement gravés, sans ajout de pierres, figurent probablement des lionnes520.

Plus sobres sont les petites têtes de lions en or et de lionnes en argent qui ornaient le chariot de la reine Pu-abi d’Ur521, les lionnes étant les plus expressives et particulièrement près de la nature, alors que les têtes de lions à la crinière de lapis et de coquille sont plus conventionnelles. Leurs yeux étaient incrustés de lapis-lazuli et de coquille522. Comme pour les statues humaines, le fait des yeux sculptés ou incrustés n’est pas un critère d’époque, l’un et l’autre procédés étant utilisés simultanément. La langue émergeant de la gueule entr’ouverte, encadrée de canines incisées, est caractéristique de têtes de lions en pierre, trouvées à Tello par E. de Sarzec et dont certaines sont inscrites au nom d’Ur-Nanshe et d’Akurgal523. Toutes ont un trou de mortaise au dos ou au-dessous. Les yeux sont sculptés et les plis du mufle sont dirigés en éventail vers le haut. L’une de celles qui n’est pas inscrite porte autour de la tête une crinière stylisée en mèches de kaunakès524 (Pl. 92) et le British Museum possède une tête analogue, inscrite d’un signe lugal et d’un autre signe qui pourrait être šà, si bien qu’il était tentant d’y voir le nom de Lugal-sha-engur, ensi de Lagash à l’époque du roi Mesilim de Kish525. En fait les masques de lions sculptés sur la masse d’armes de Mesilim, découverte à Tello526 dans le même tell K que les têtes de lions, c’est-à-dire aux environs immédiats de la construction d’Ur-Nanshe527, ressemblent surtout à la tête inscrite au nom d’Ur-Nanshe avec son front limité par un bourrelet en angle obtus passant devant les oreilles en « anses »528 (Pl. 93). Cette façon particulière dont les sculpteurs ont traité les têtes de lions de face, avec des bajoues encadrant un long nez droit529 se retrouve sur un aigle léontocéphale en relief du temple d’lshtar à Mari, réutilisé en gond de porte530 et surtout sur le splendide exemplaire du « trésor » en lapis-lazuli avec la tête et la queue recouverts d’or531. Elle ne semble donc pas avoir de réelle évolution au cours du D.A. III. Un peu différent est un protomé de lion couché, au nom d’Ur-Nanshe gravé sur le tenon cassé qui le prolonge et qui était perforé latéralement532 (Fig. 46). La crinière est traitée en mèches pointues striées se chevauchant. Une petite tête en calcaire trouvée hors stratification à Warka doit être présargonique avec ses yeux évidés et l’indication des plis du mufle533.

46. Tello. Protomé de lion au nom d’Ur-Nanshe. Onyx.

L’Élam a connu des œuvres d’inspiration mésopotamienne, comme un avant-train de lion en albâtre (ci-dessus, n. 529), mais il a aussi produit suivant sa propre tradition des exemples d’art animalier en utilisant des matériaux de la région et en particulier le bitume. C’est ainsi qu’un avant-train de lion accroupi est d’une facture totalement différente du précédent, avec ses yeux superficiellement creusés, ses oreilles très petites, son mufle sans détails, seulement fendu par la gueule. Le seul point commun avec l’autre avant-train est la crinière faite de zig-zags gravés534.

Le don d’observation et l’humour des sculpteurs susiens protohistoriques s’est transmis à l’époque présargonique, si l’on en juge par un singe assis en belle pierre rouge535 (Pl. 94). Avec une grande sobriété de moyens, l’attitude de l’animal tassé, le cou dans les épaules et les mains sur les genoux est bien copiée sur le vif.

Un petit bison en stéatite, acquis en 1924 par le Louvre comme provenant de Suse536 montre, dans un beau modelé finement poli, l’animal bas sur pattes, le mufle au ras de terre (Pl. 95). Il n’y a pas de cornes ni de barbe. Lors de la première publication, G. Contenau avait noté que le globe de l’œil, en relief dans un évidement losangique, n’était pas conforme au procédé sumérien, alors que la crinière, en languettes triangulaires striées, superposées, était « traitée comme la crinière des lions de la masse d’armes de Mesilim »537. De la queue, il ne reste que l’extrémité appliquée contre le flanc droit. La silhouette du quadrupède bossu se retrouve sur l’épaule d’un vase polychrome de Suse538 et l’on y dénote une influence du Balutchistan et même de l’Indus, si l’on en juge par une figurine de zébu en terre cuite trouvée à Mohenjo-Daro539. Là aussi les pattes s’arrêtent presque au ras du ventre, si bien que le bison du Louvre, dont le musée du Cinquantenaire à Bruxelles possède une réplique fruste, un peu plus grande, acquise en 1900, a peut-être été importé de l’Indus540. L’effigie d’un bison sur un cachet-bouton de l’Indus, aujourd’hui au Louvre, présente bien cette attitude de la bête à l’avant-train strié et bossu, dont la tête est baissée au niveau des pattes comme pour foncer541. Pour cette raison, il est aussi possible que les statuettes du Louvre et de Bruxelles aient été sculptées à l’époque d’Akkad.

Il est probable qu’une tête de zébu en cuivre trouvée dans l’île de Bahrein, au 2e niveau du temple de Barbar, ornait un devant de lyre ou un meuble542. La crinière striée sur le front, les yeux creusés pour l’incrustation et les minces cornes arquées la rendent proche d’exemplaires des tombes d’Ur, et en particulier d’une tête cornue à face humaine543. Les cornes sont ici inusuellement allongées et le mufle n’est pas enroulé ; ce n’est vraisemblablement pas un taureau qu’a voulu représenter l’artiste qui n’appartenait pas à la même école de métallurgistes que ceux d’Ur.

Très peu d’exemples en ivoire sont connus. Un petit bison androcéphale de Kish544, appartenant à une paire ou à un ensemble de trois ou quatre animaux, se tenait originellement sur un piédestal que Watelin croyait monté sur des roues. La crinière est faite de mèches terminées par un enroulement, ainsi que la barbe qui couvre une grande partie du très large visage. Les pattes sont cassées. Pour R. Moorey, le piédestal ne comportait pas de roues, mais il portait un feuillage dont il subsiste quelques éléments, peints en noir et en rouge ; certaines parties du corps de l’animal portent encore des traces de peinture. Il y avait peut-être là l’équivalent en ivoire des boucs aux arbustes en or et lapis-lazuli d’Ur (ci-dessus, p. 137, n. 515).

Une petite tête de taureau, trouvée à Jéricho545, est en réalité de facture sumérienne présargonique. Elle porte le triangle sur le front.

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1 L’époque correspond à l’Early Dynastie de l’École américaine et au Frühdynastisch de l’École allemande. 

2 Frankfort, OIP 60 , p. 5. 

3 Tell Asmar : sanctuaire archaïque d’Abu I-IV. — Khafadje : temple de Sin VI-VII. — Nippur : temple d’Inanna XI-IX. Cf. E. Porada, Relative Chronology of Mesopotamia, fig. V, dans Ehrich, Chronologies, 1965. 

4 Donald P. Hansen a indiqué cette carence de la ronde bosse et du bas-relief au D.A. I à Nippur, dans JNES 12, 1963, p. 164 s. 

5 P. Delougaz, dans OIP 58, p. 135, a évalué les nombres d’années des trois phases du D.A. d’après les couches de badigeonnage des murs du temple de Sin à Khafadje : 200 ans pour le D.A. I, 100 ans pour le D.A. II, 250 ans pour le D.A. III. 

6 Les archéologues allemands soulignent cette réalité en désignant cet intervalle par « première époque de transition » : 1. Übergangs-Zeit. Cf. B. Hrouda, Vorderasien I, 1971, p. 110 ss. 

7 OIP 44 , no 92, pl. 69 G ; OIP 60 , p. 5. Cf. E. Porada, AJA 72, 1968, p. 303. Calcaire. Ht. 7,3 cm. Bagdad. 

8 UE II, pl. 91 ; 3e registre. 

9 ILN 31.8.1929 et 8.2.1930. — L.Ch. Watelin, Excavations at Kish, vol. IV, 1934, pl. XXX et p. 45 ss. — Cf. P.R.S. Moorey, « A Re-consideration of the Excavations on Tell Ingharra, 1923-33″, Iraq 28, 1966, p. 33, qui parle d’un « Early Dynastie I context ». 

10 UE IV, pl. 24, U.8292 et p. 37. Haut. 12 cm. Philadelphie, University Museum, CBS 17196. 

11 Id., Calcaire. Ht. 11 cm. Philadelphie, University Museum, CBS 17197. 

12 Syria 40, 1963, p. 235. 

13 E.C. Schenk, « Additions to the Permanent Collection. Two Near Eastern Figurines », The Buffalo Fine Arts Academy. Albright Art Gallery. 17,1 1953, pp. 2-5 ; pl. p. 10. Analyse du métal, p. 5. — R.D. Barnett, Syria 43, 1966, pl. XIX-XXI, p. 265 s — E. Porada, Propyläen 13, pl. XII ; p. 163. Cuivre. Ht. 17,3 cm. New York, Musée de Brooklyn. Buffalo, Albright Art Gallery. 

14 Bien que moins recourbées, les cornes qui s’apparentent le mieux sont celles de l’ovis musimon ou mouflon : LW. Cornwall, Bones for the Archaeologist, Londres, 1964, fig. 12 a, p. 72. 

15 L’exemplaire du Musée de Brooklyn a été doté d’un bâton de bronze moderne, tenu dans la main droite : Pl. 36. 

16 Barnett, Syria 43, p. 265. 

17 Frankfort, Cylinder Seals, p. 60. 

18 Cf. en particulier un cachet de Suse : Amiet, CS, no 454, pl. 60. 

19 Frankfort, The Art, pl. 6 C. 

20 Amiet, GMA, p. 148, n. 133. Cf. Delaporte, Catalogue de la Bibliothèque Nationale, no 29. — Von der Osten, Collection Newell, OIP 22, no 96. 

21 C’est le cas par exemple à Mari où le mobilier des temples d’Ishtarat et de Ninni-zaza a été mis en pièces : Parrot, MAM III, p. 35 et 178. 

22 Statue de TAGGE à Mari, ci-dessous, p. 70. C’est à Mari que les statues les plus grandes ont été trouvées : Iku-Shamagan : 1,04 m, MAM III, p. 37 ss. ; adorant : 1,04 m, id., p. 46 ss. ; fragm. de tête : 17 cm, id., p. 76 s. ; polos géant : 18 cm, MAM I, p. 87 s. Cf. également un pied en cuivre de Tell Agrab : 8,4 cm, OIP 60 , pl. 61 A = Moortgat, Die Kunst, pl. 50. 

23 H. Frankfort, OIP 44 , p. 36 ; OIP 60 , p. 5 ss. ; The Art, p. 26 ss. 

24 OIP 60 , p. 8. 

25 Cf. Mallowan, « The Early Dynastie Period in Mesopotamia », CAH I, fs. 62, 1968, p. 3. 

26 Id., p. 15 s. De même pour le temple de Nintu, p. 21 et pour le temple de Shara à Tell Agrab, p. 28. 

27 E. Strommenger, « Das Menschenbild in der altmesopotamischen Rundplastik von Mesilim bis Hammurapi », BaM 1, 1960, pp. 40-45. 

28 OIP 44 , no 14, pl. 42 ; OIP 58, p. 199. Cf. Mallowan, loc.cit., p. 25. 

29 OIP 44 , pl. 1 ss., no 1-11, 16. 

30 OIP 60 , pl. 2-10, no 209-217. 

31 OIP 44 , no 1, pl. 1-3, 5 A, 6 A= B. Hrouda, Vorderasien 1, pl. 31 a-b. Gypse. Ht. 72 cm. Bagdad, IM 19752. 

32 OIP 44 , pp. 13-16 ; The Art, p. 24. Voir les réserves sur cette identification dans A. Spycket, Les statues de culte, 1968, p. 11 s. 

33 OIP 44 , pl. 25 C. 

34 Parrot, Sumer, pl. 188 B = Hrouda, loc. cit., pl. 45. 

35 Parrot, Sumer, p. 187. Cf. Spycket, loc. cit., p. 11 s. 

36 OIP 44 , no 2, pl. 4, 5 B-C = Hrouda, loc. cit., pl. 32. Gypse. Ht. 59 cm. Bagdad. 

37 Il faut noter que ce gobelet à pied (solid foot chalice) est caractéristique du D.A. I à Khafadje où plus de 660 exemplaires ont été découverts cassés et alignés sur plusieurs rangées dans une pièce adjacente au sanctuaire archaïque III du temple d’Abu : OIP 58, fig. 125 et p. 166. Même constatation à Nippur : Hansen, dans Ehrich, Chronologies, p. 209. Pour cette raison, et parce qu’il considère la cachette plus ancienne que le Temple carré, B. Hrouda (toc. cit., p. 112) fr.it remonter le contenu de la cachette au D.A. I. Cette hypothèse, qui comblerait le hiatus du D.A. I, en creuse un pour le D.A. II, plus difficilement explicable du fait de la similitude avec la cachette du temple V de Nintu à Khafadje qui contient une statue déjà proche du D.A. III : OIP 60 , no 217, pl. 9-10. 

38 Cf. par exemple plaque d’Ur-Nanshe de Tello : Parrot, Sumer, pl. 159 ; stèle de Naram-Sin, id., pl. 213. 

39 OIP 41, no 10, pl. 21-23 = OIP 60 , pl. 89-90. Gypse veiné. Ht. 40 cm. Chicago, A 12332. 

40 OIP 44 , no 22 et 23, pl. 36-37. Calcaire. 34 et 33 cm. Chicago, A 12413 et Bagdad. On peut vraisemblablement y ajouter la statue no 24, pl. 38, acéphale, mais sans barbe. Calcaire. Ht. 30,5 cm. Chicago, A 12436. 

41 OIP 44 , no 3, 6, 10. 

42 ILN , 9.9. 1961, p. 411, fig. 19 = Trésors du Musée de Bagdad, Musée du Louvre, 1966, no 43, pl. 23. Calcaire. Ht. 27 ,5 cm. Bagdad, IM 66183. Cette statue appartenait au niveau VII du temple d’Inanna, qui doit dater de la fin du D.A. II. Cf. D.P. Hansen, dans Ehrich, Chronologies, 1965, p. 209. 

43 Voir l’étude très documentée sur le costume d’E. Strommenger (« Mesopotamische Gewandtypen von der Frühsumerischen bis zur Larsa-Zeit ») dans Acta Praehistorica et Archaeologica 2, 1971, pp. 37-55. 

44 Id., p. 39, n. 9. 

45 OIP 44 , no 11, pl. 43 C-D = Parrot, Sumer, fig. 130 D-131. Calcaire. Ht. 23 cm. Les jambes et le socle manquent. Bagdad. 

46 OIP 44 , no 14, pl. 42. Albâtre. Ht. 20 cm. Chicago, A 12322. 

47 OIP 44 , no 8, pl. 15 B, 16. Calcaire jaune. Ht. 34 cm. Bagdad. 

48 Cf. A. Spycket, « La coiffure féminine en Mésopotamie », RA 48, 1954, p. 118 ss. 

49 OIP 44 , p. 4. 

50 Id., no 16, pl. 26-27. Albâtre. Ht. 21 cm. Bagdad, IM 19767. 

51 Id., no 206, pl. 115 E. s. Lloyd, Sumer II, 1946, pp. 1-5 ; pl. III. Bagdad, IM 51023. 

52 Maurice Lambert, Sumer 3, 1947, p. 131 s. — D.O. Edzard, Sumer 15, 1959, pp. 20-22. 

53 Frankfort, The Art, p. 27 et fig. 14, p. 37. 

54 S. Lloyd, Sumer 2, p. 3 s. 

55 Parrot, Sumer, fig. 87-89 = Hrouda, Vorderasien I, pl. 16. 

56 Plaque de Tello : Parrot, Sumer, pl. 161 B. — Plaque d’Ur : Woolley, The Development of Sumerian Art, pl. 54 a. 

57 OIP 60 , no 269, pl. 33-34 = Moortgat, Die Kunst, pl. 55-56. Calcaire. Ht. 10 cm. L’œuvre est parvenue mutilée, mais l’essentiel subsistait et a permis la restauration. Chicago, Oriental Institute A 18067. 

58 Delougaz, Pottery from the Diyala Region, OIP 63, 1952, pl. 48 d. 

59 Parrot, MAM III : m. 2241, pl. LXX ; p. 179 s. — G. Dossin, ibid., p. 329. Pierre gris-vert. Ht. 13 cm. 

60 OIC 13, 1932, fig. 33, p. 77. 

61 OIP 60 , no 312, pl. 61 B ; p. 11. 

62 L. Ch. Watelin, Excavations al Kish, IV, 1934, pl. XXI, 2 ; p. 21, fig. 4, p. 27.-P.R.S. Moorey, Iraq 28, 1966, p. 41. 

63 OIP 44 , no 181, pl. 98-101 = Moortgat, Die Kunst, pl. 52. Ht. totale : 55 cm, Ht. de la statue : 36 cm. Bagdad. IM 8969. 

64 OIP 44 , p. 42. L’emplacement dans le dos de l’inscription pourrait indiquer une date très proche du D.A. III. 

65 OIP 44 , no 182-183, pl. 102-103 = OIP 60 , pl. 95. Ht. 41 et 41,5 cm avec le socle. Ht. des statues : 28 et 29 cm. Chicago, A 9270/9271. 

66 OIP 60 no 306, pl. 55 ; p.11. Ht. 16,6 cm. Bagdad. 

67 OIC 13, p. 78 ; OIP 44 , p. 42. 

68 V.E. Crawford, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, April 1960, pp. 246-249, fig. 6. Ht. 38 cm. 

69 V.E. Crawford a proposé de voir dans le bloc porté des briques pour la construction d’un temple, mais l’objet semble plutôt un coffret. La forme carrée rappelle le fardeau que portent sur leur tête des silhouettes en coquille d’hommes barbus trouvées dans le temple de Ninni-zaza à Mari : MAM III, fig. 271, p. 236 et pl. LXII, 2457/2458. Cf. aussi plaque d’Ur-Enlil de Nippur : Contenau, MAO I, p. 441 (D.A. III). 

70 OIP 60 , no 305, pl. 54 = Parrot, Sumer, pl. 183 C. Ht. 10,2 cm. Bagdad, IM 41085. 

71 OIP 60 , no 313, pl. 62. Sur l’analyse de cette lutte, cf. Gratianne Offner, « Jeux corporels en Sumer. Documents relatifs à la compétition athlétique », RA 56, 1962, pp. 31-38. 

72 ILN , 9.9.1961, p. 410, fig. 10. Gypse. Ht. env. 11 cm. Musée de Bagdad. 

73 Archaeology 15, 1962, p. 78, fig. 4. 

74 ILN , 9.9.1961, p. 410, fig. 15. Gypse. Ht. env. 9 cm. Musée de Bagdad.